| Artifices 1 | 4 - 31 octobre 1990 | Art à l'ordinateur : invention, simulation |

avant propos
| Jean-Louis Boissier, Invention, simulation

      Voici que les arts sont touchés par l'informatique. S'il existe une spécificité de l'«art à l'ordinateur», elle n'est cependant, à ce jour, pas nommée. L'innovation technologique de l'informatique traverse des traditions artistiques diverses. Pour s'orienter dans ce territoire méconnu, parmi les oeuvres d'auteurs singuliers qui sont à la fois artistes et ingénieurs, on regardera la place qu'a l'ordinateur dans leur processus de création. Ou bien l'informatique a engendré des images destinées à être enregistrées en vidéo ou sur d'autres supports, ou bien l'informatique est maintenue active dans les images exposées.

      La palette graphique qui simule certains outils classiques, la numérisation qui met en pièces des images existantes, sont les instruments d'un malaxage sans équivalent dans les procédés mécaniques, optiques ou même électroniques. Michaël Gaumnitz, Gudrun von Maltzan dessinent ainsi des tableaux-vidéo rythmés et ironiques, en perpétuelles métamorphoses. Par le simple défilement de photogrammes numérisés, Thomas Porett en appelle lui à la mémoire vive de l'ordinateur pour dire inlassablement, toujours au présent, le souvenir des victimes de la tyrannie. Quant au réseau numérique, il est l'occasion d'une tentative de convergence des transports nés de l'actualité.

      L'ordinateur s'expose au travail. Ayant «appris» les lois fondamentales d'un dessin longuement pratiqué, celui du peintre Jean-François Lacalmontie, l'ordinateur préparé par Alain Longuet produit, à raison d'une toutes les dix secondes, de pures figures calligraphiques, originales à l'infini. Face à la machine d'Hillary Kapan, c'est l'expérience d'un dialogue intuitif avec le programme qui fait émerger des formes stables d'un chaos fluctuant de pixels. Parce qu'elle traite indifféremment le texte et l'image, l'informatique contribue à rappeler que les mots ont aussi une existence graphique. Claude Faure en joue, offrant à feuilleter une série d'expressions écrites qui s'animent d'évidence, au-delà de la redondance. Faux texte, fausse image, les estampes sur imprimante de Brian Reffin Smith ironisent de l'intérieur sur l'idée de simulation.

      L'image de synthèse est la voie de l'invention de mondes de pure fiction mathématique. Pourtant, toute une génération d'images calculées possède ce réalisme fondamental qui tient à ce qu'elles intègrent des lois de morphogénèse et de comportement extraites du réel. C'est le secret de l'allure biologique des êtres surgis des ordinateurs de William Latham ou de Yoichiro Kawaguchi. Les créatures hybrides, les androïdes de Michel Bret ou de Hervé Huitric & Monique Nahas affichent leur indépendance fantastique d'automates numériques, mais dans une lignée explicitement picturale.

      Cette friction en bonne intelligence du virtuel au réel sera plus manifeste encore si l'on entre dans l'image, avec en coulisses l'ordinateur travaillant en temps réel. Jeffrey Shaw exalte cette situation dans sa Ville lisible. On circule virtuellement, mais sur un authentique vélo, à travers une perspective d'immeubles qui sont des lettres en relief, dans des rues qui sont des phrases, malgré tout coulées dans la silhouette reconnaissable de Manhattan ou d'Amsterdam. Préfiguration, pensons-nous, de toute une lignée de pièces artistiques, le dispositif avec capteur de pression imaginé par Edmond Couchot pour «Je sème à tout vent», désigne un type d'images qui appelle fondamentalement pour exister l'intervention du public. Le souffle du spectateur fait partie de l'image, il lui est nécessaire comme la lumière sur un tableau, comme l'interprète pour la partition musicale. La recherche d'Annie Luciani de l'ACROE, montrée ici par un document en vidéo, porte sur la simulation des outils eux-mêmes. Ce sont des instruments et matériaux virtuels dont le comportement dans les trois registres sensibles de la vue, de l'ouïe et du toucher est produit par un modèle physique unique. Ils sont destinés à rétablir le lien rétroactif, réputé nécessaire à la création, avec le geste de l'artiste ou du spectateur-interprète.

      Dans le vidéodisque interactif Le Bus, c'est la découverte d'une vaste collection d'images qui constitue l'argument : l'émotion naît de la liberté que perçoit le spectateur à conduire son exploration dans un album saisi sur l'environnement de Saint-Denis.

      De tels artifices sont ici mis en scène. Artifice comme «industrieuse combinaison de moyens» (Le Littré), comme processus technique réalisé.
      Artifice comme élégance et habileté, voire comme ruse, comme distance critique. Artifices de l'invention, d'une création qui ferait ouvertement appel à des stratégies d'expérimentation, de découverte, de développement. Artifices de la simulation, ce dépassement de la représentation désormais lié aux nouvelles technologies.
      Artifices fondés sur les langages et les modèles à l'oeuvre, où s'exercent un baroque des technologies, une dramaturgie de l'interactivité, une poétique du potentiel, une esthétique des liaisons et des attitudes.