| Artifices 1 | 4 - 31 octobre 1990 | Art à l'ordinateur : invention, simulation |

Art ? l'orninateur
| Pierre Courcelles, D'un discours, l'autre

      Le plus remarquable dans Artifices n'est pas seulement ce qui est donné à voir : les images à l'ordinateur et les dispositifs divers qui les actionnent. Le plus remarquable, ce sont les questions qu'induisent ces images. Questions qui viennent s'insinuer dans le système de pensée, classique, traditionnel, des «Beaux-Arts». Ce ne sont pas, à première vue, de ces questions qui ont l'ambition de faire table rase de toutes celles que la pratique et l'histoire des images ont emmagasiné depuis la Renaissance - pour ne pas remonter plus loin. Ce sont questions qui, à terme, sont appelées à remettre «sur leurs pieds» des questions déjà très anciennes dans le champ de l'art - questions dont bon nombre de réponses, peu à peu, se sont dégradées, ont divergé de leur projet initial, sont devenues obsolètes. Ces questions, certaines inédites, se trouvent formulées dans la plupart des textes donnés pour ce catalogue par les créateurs présents dans cette exposition. Des questions qui touchent, notamment, au rôle de l'artiste et à ses pratiques dans l'ordre du social, ou à des notions telles que celles de la temporalité dans les arts plastiques, le statut de la «virtualité» de l'image à l'ordinateur, les fonctions de la simulation ou encore de l'interactivité appliquées aux images.

      Ces questions ne renvoient pas à des réponses déjà formulées.
      Elles s'adressent prioritairement aux discours sur l'art qui se tiennent actuellement. Les «produits» de l'art moderne et de l'art contemporain tendent depuis longtemps, en France, à se résoudre dans les discours qui les véhiculent. Des métalangages se sont emparés d'idiolectes, les soumettant à des normes qui procèdent de la littérature, de la philosophie appliquées au système des Beaux-Arts. Cette domination formaliste a entraîné la production des «images» dans une dérive sémantique qui l'a gravement coupée de l'adhésion populaire, et on doit enregistrer ce fait comme un désastre culturel.

      Les images résultant de l'ordinateur et de la mise en oeuvre d'algorithmes ne répondent plus, quant à elles, aux discours littéraires et philosophiques en cours pour cette raison principale que la présence des mathématiques, langage universel, les font échapper au statut d'idiolectes. Lorsque les images ne procèdent plus du seul exercice de la main et de l'oeil, mais de la formulation mathématique, le seul discours esthétique se désempare. Avec les images de synthèse, on peut penser que commence à s'opérer le passage d'un discours à un autre où le sentiment esthétique individualiste et subjectif tend à perdre de sa prééminence. Il semble que nombre d'éléments soient en place pour que s'effectue un remaniement significatif du champ opérationnel de la littérature critique où le contexte socio-culturel, notamment, se verra réintroduit, comme le souhaitent depuis longtemps de nombreux théoriciens. Tout y conduit, à commencer par l'appartenance de l'ordinateur à la sphère technologique où s'élaborent un nouvel humanisme scientifique et une nouvelle symbolique artistique.

      Critique d'art à Révolution et concepteur d'expositions d'arts plastiques, chargé de mission par la Ville de Saint-Denis pour la conception du département consacré à la Commune de Paris du Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Denis. Conseiller artistique et commissaire pour la Biennale de Paris, commissaire de l'exposition La Peinture française, une nouvelle génération, organisée en Amérique latine par l'Association Française d'Action Artistique.