| Artifices 2 | 6 novembre-3 décembre 1992 |

 

ArtificesArt ? l'orninateur
| Bill Fontana, Perpetual Motion, 1992 :

      Oeuvre
      Perpetual Motion (Mouvement perpétuel), 1992, création pour ARTIFICES 2, installation sonore avec micros, numériseurs de sons, liaison Numéris, lecteur de CD-Rom, micro-ordinateur, amplificateurs, haut-parleurs.

      | Technique | Projet | Réponses | Biographie |

      L'installation comporte deux parties distinctes.
      1°. Deux micros à condensateur sont disposés auprès des cloches de la Basilique de Saint-Denis. Le signal électrique est amplifié, numérisé grâce au système Hifiscoop, transmis par le réseau téléphonique Numéris. Dans la rotonde de la salle de la Légion d'Honneur, un amplificateur alimente deux groupes de haut-parleurs Bose, propres à la restitution des fréquences sonores aiguës et très basses.

      2°. L'enregistrement des bruits du marché, gravé sur un compact-disc (Red Book CD-R fabriqué sur Yamaha PDS Optical System), est lu par un lecteur de CD-Rom piloté par un programme temporel, spécialement réalisé sur micro-ordinateur Macintosh. Le son est amplifié et distribué dans le couloir d'entrée par un groupe de haut-parleurs.

      | Technique | Projet | Réponses | Biographie |

      La première installation sera entendue dans la petite rotonde spécialement aménagée et isolée acoustiquement. Les haut-parleurs sont fixés, l'un au plafond de cette salle, l'autre au sol, afin de créer un dialogue dans l'espace entre les sons émis par les deux cloches de la Basilique de Saint-Denis, et captés en temps réel. Habituellement, les cloches ne sonnent pas, car la tour à l'intérieur de laquelle elles sont actuellement suspendues n'a pas été construite pour supporter la forte pression produite par leur balancement. Celles-ci devaient être installées dans une tour différente qui fut détruite, au siècle dernier, par un violent incendie causé par la foudre. Cette basilique est unique pour cette raison précise que ses cloches ne sonnent jamais.

      Ce fait historique induit une situation étonnante où l'absence de tintement des cloches, leur silence, permettent d'utiliser un phénomène physique de base : leur résonance. C'est un phénomène physique que connaissent ces cloches comme d'autres : leur vibration est toujours génératrice de sons. Ce fait acoustique, en relation avec l'histoire de Saint-Denis, devient une idée poétique. Cette basilique silencieuse (le silence étant défini comme l'absence de tintement des bourdons) possède des cloches qui ont toujours produit un son que nul n'a jamais entendu. La vibration des cloches génère du son grâce à la stimulation provoquée par les sons environnants de Saint-Denis. Les cloches sont donc constamment en train de créer un son grave avec des harmoniques qui varient selon l'intensité et la fréquence des sons ambiants se produisant dans Saint-Denis. Ainsi, la fréquence sourde, constante et proche du trafic sollicitera les fréquences graves de la vibration de la cloche. Par contre, les sons aigus, tels ceux du carillon de l'hôtel de ville et les klaxons des automobiles, provoqueront les harmoniques les plus hautes des deux cloches. Ce phénomène de vibration produisant un son à l'infini suggère l'antique idée mystique d'une musique éternelle survenant dans l'environnement, le monde ou l'univers.

      La seconde installation sera entendue dans l'entrée de l'exposition, la configuration de la salle de la Légion d'Honneur évoquant l'architecture de la halle du marché. Les séquences sonores sont diffusées selon un programme temporel particulier. Le son provient d'un enregistrement continu d'une durée de soixante minutes effectué, en direct, dans le marché de Saint-Denis. L'activité et les sons de cette halle du marché rappellent la longue histoire de Saint-Denis, comme centre de commerce et d'échanges parmi les plus importants de France. Ce marché couvert, vitré, est le plus grand et le plus intéressant des environs du Paris contemporain.

      Bill Fontana, 1992.

      Les environnements sonores de Bill Fontana renouvellent notre conscience des lieux que nous habitons et du rôle puissant que joue pour nous le son, à la fois dans la conscience de soi et dans la mémoire. L'accomplissement des projets de Fontana aura été de susciter une sensation dynamique de l'environnement naturel, présence continue et revivifiante propre à ranimer la conscience de l'enveloppe narrative que les sons forment autour de nos existences. À un premier niveau, le travail de Fontana repose sur une investigation minutieuse de la façon dont nous percevons les sons dans la réalité. À la manière de l'apprentissage d'une langue, nous identifions les sons à travers un ensemble complexe d'indications sensorielles, les rattachant à leurs sources technologiques ou naturelles dans l'environnement. Fontana a créé une série de projets qui traitent subtilement de l'interaction entre les origines des sons et le contexte de leur perception. Dans ce processus, Fontana incite le spectateur à devenir conscient de lui-même et de ses sensations et percevoir ainsi, à nouveau, son monde quotidien.

      Les environnements dans lesquels nous avons grandi sont faits de tout un ensemble d'odeurs, de lumières, de couleurs et de sons dont l'articulation joue un rôle important dans la réminiscence de moments passés, en procurant de puissants repères pour la construction de notre sensation physique des lieux.
      L'art de Fontana peut être vu dans une relation dialectique complexe relevant à la fois du naturalisme de l'art de la représentation et de la stratégie de l'objet « trouvé » de Marcel Duchamp. En déplaçant un objet ordinaire quotidien de son contexte habituel, en le désignant comme objet d'art et en le plaçant dans un musée, Duchamp lui donne un nouveau sens et une nouvelle signification. John Cage, dans sa composition 4'33'' du début des années cinquante, donne l'instruction au musicien de ne produire aucun son. La performance est alors constituée des sons qui, par chance, emplissent la salle de concert pendant la durée de la composition. Le résultat de ces tentatives a été une nouvelle musique définie par la liaison du son à l'environnement qui le génère. Des projets créés pour des galeries à ceux qui impliquent de grands environnements en plein air, les travaux de Bill Fontana présentent une grande variété. En 1983, Fontana acheva Oscillating Steel Grids Along Brooklyn Bridge (Grilles métalliques oscillantes le long du pont de Brooklyn), à l'occasion du centenaire du pont. Le public, se tenant sur la place du World Trade Center, entendait, venant de haut-parleurs cachés, les vibrations du pont produites par le flot constant de la circulation. En transmettant ces sons en direct depuis le pont vers un lieu public, c'est-à-dire vers un lieu éloigné, Fontana rendait les auditeurs plus conscients de l'étendue tonale et de la modulation de ces sons. En isolant le son de sa source, Fontana rendait le lecteur capable de porter toute son attention sur sa beauté intrinsèque et sa complexité.

      Dans Entfernte Züge, la question de l'origine du son est au centre du concept de Fontana. En 1984, artiste-résident à Berlin-ouest, il visite le terrain vide qui avait été le site de la gare Anhalter, une des plus importantes de Berlin, avant la guerre. Il y diffusa les sons qu'il avait enregistrés sur un magnétophone à huit pistes dans la gare la plus active de Cologne. Les sons émanant de huit haut-parleurs cachés dans le sol désert évoquaient la sensation obsédante d'une gare animée.

      En 1986, Kirribilli Wharf, le premier champ d'enregistrements sur huit pistes de Fontana, est une oeuvre-clé de sa carrière. Il enregistra le bruit des vagues s'engouffrant sous le quai Kirribilli dans le port de Sydney. Les sons furent ensuite diffusés par des haut-parleurs placés dans l'espace d'une galerie. Dans la galerie laissée dans l'obscurité, la résonance du son répétitif de l'eau évoquait la présence sensible et palpable du quai, créant un environnement sonore naturaliste. Alors que tous les repères visuels étaient enlevés, l'auditeur percevait cette oeuvre comme le pur mouvement de l'eau contre la jetée.

      Ces trois projets décrivent la variété des stratégies développées par Fontana dans ses projets d'installations comme autant de moyens pour reconstruire notre conscience et notre perception de l'environnement naturel. La dissociation d'un son, en temps réel, de sa source d'origine vers un autre lieu tout proche nous amène à charger ce son d'un sens mystérieux. Transmettre un son d'une source identifiable à un autre lieu peut rappeler cette fonction première de l'espace, le ramenant à la vie comme la communauté de souvenir propre à un passé historique. Capter sur bande le son naturel de l'environnement et le placer dans un espace neutre crée un sentiment accru de ce son, à travers lequel nous pouvons imaginer l'environnement d'origine.

      Les projets récents de Bill Fontana, comprenant l'oeuvre créée pour Vienne, un son modulé et en mouvement selon une trajectoire spatiale circulaire qui relie les lieux par un enchaînement de sons. En 1989, dans Hamburg Projekt, trois lieux différents fournissaient un échantillonnage de sons évoquant l'architecture des docks et des tunnels. Ces sons étaient transmis sur un pont où ils étaient entendus par intermittence mêlés aux bruits naturels issus d'autres lieux. Ici la « carte » de l'architecture particulière de Hambourg se fond à l'environnement naturel. Cette idée est développée davantage dans Acoustical Views of the San Francisco Ferry Building, dans lequel Fontana transmet les sons d'un point acoustique et architectural dans San Francisco, le South Ferry Building situé sur le port, vers une salle du musée d'art moderne de San Francisco. Fontana développe une interaction complexe entre la manière dont les sons d'un clocher sont entendus à travers l'environnement naturel et urbain, et la manière dont est recréé et capté le mouvement du son dans l'installation du musée. En introduisant ses propres sons dans la dynamique du paysage, Fontana module subtilement la perception du mouvement du son et de son interaction avec la ville en même temps qu'il le retient à l'intérieur du musée.

      Le projet que Bill Fontana a créé pour Vienne est un mélange élégant et ambitieux du passé et du présent. Dans ce projet de paysage urbain et naturel, Fontana apporte dans la ville un tableau sonore propre à évoquer, à travers les sons changeants d'un marais, un lieu à la fois réel et imaginaire, regardant ainsi vers l'avenir de la ville à travers l'écologie actuelle.

      John G.Hanhardt, Whitney Museum, New York,
      extraits d'un article publié à l'occasion de l'installation de Bill Fontana au Festival de Vienne en 1990.

      | Technique | Projet | Réponses | Biographie |

      1. Les nouvelles technologies dans l'oeuvre.

      Mouvement perpétuel utilise pour la première installation les nouvelles technologies de transmission sonore. Les nouvelles techniques d'enregistrement sur disque optique et l'utilisation de l'informatique interviennent dans la seconde installation pour travailler les sons enregistrés.
      La signification des nouvelles technologies de communication dans la conception de mon travail est de rendre possible, apparemment sans effort et avec une grande simplicité, une modification des distances physiques qui existent entre différents endroits du monde. Ceci définit l'espace réel de mon travail qui est la simultanéité. Dans la réalisation de ce travail pour Saint-Denis, et pour beaucoup d'autres, la simultanéité est la construction esthétique fondamentale, à l'intérieur de laquelle se définissent les relations entre les événements sonores des espaces réels. Sans ces nouvelles technologies de communication et les technologies périphériques (lignes téléphoniques analogiques ou numériques, amplificateurs de micros analogiques, convertisseurs de l'analogique au numérique, systèmes de reproduction du son), la construction esthétique de la simultanéité du son serait inconcevable.
      Les nouvelles techniques d'enregistrement sur disque optique CD-R permettent l'enregistrement numérique d'un son ambiant et son stockage définitif. Elles sont donc idéales pour une utilisation des sources sonores dans une structure temporelle éphémère et pour une lecture sonore à l'intérieur d'une installation. La qualité sonore de ces CD-R est la meilleure solution, parmi la masse de CD existants, car ils sont une copie numérique directe à partir de la bande originale d'enregistrement.

      2. L'esthétique spécifique des nouvelles technologies.

      Les conséquences esthétiques de ces nouvelles technologies sont de rendre possible les formes de mon art. Mais, quoique mon travail soit réalisé grâce à l'utilisation des nouvelles technologies, elles n'en sont ni le centre ni le contenu. Tous les éléments physiques et techniques sont cachés du regard. La conséquence esthétique spécifique en est simplement l'assemblage et la délocalisation du son, et la juxtaposition de ces sons à des espaces architecturaux.

      3. Le réel saisi par les machines.

      Mon travail implique la cartographie des espaces acoustiques. Celle-ci implique souvent de disposer des micros dans un champ sonore particulier de façon à restituer les éléments dynamiques et spatiaux de ce dernier. Par exemple, des délais acoustiques simultanés se produisent lorsque les sons cartographiés sont assez puissants pour voyager à travers un paysage.
      L'intégration de cette technologie du déploiement cartographié des micros avec les technologies de télécommunication restitue les environnements acoustiques avec un sens du détail qui est riche de multiples possibilités. Cette peinture des paysages acoustiques va au-delà de la perspective de perception binaurale humaine, pour ouvrir sur une étendue des modes d'écoute plus complète, basée sur la simultanéité de l'écoute venant de lieux différents à l'intérieur d'un champ sonore.

      4. Les nouvelles technologies dans la relation du public à l'oeuvre.

      La fonction des nouvelles technologies est d'être un puissant outil pour créer une forme artistique qui transforme l'expérience et la signification de l'environnement sonore, dans le paysage et les espaces architecturaux.

      | Technique | Projet | Réponses | Biographie |

      Bill Fontana est né à Cleveland, Ohio, en 1947. Il a étudié la philosophie et la composition musicale. Il a lancé une nouvelle forme d'art, utilisant les sons ambiants, appelée sculpture sonore. Il a réalisé son travail dans des lieux variés des quatre continents depuis plus de vingt ans.
      Parmi ses oeuvres les plus notables : Entfernte Züge,
      « reconstruction » sonore d'une gare détruite de Berlin, à partir des bruits enregistrés dans la gare de Cologne, 1984; Satellite Sound Bridge, « pont sonore » entre les villes de San Francisco et Cologne, utilisant des transmissions par radio et satellites, 1987; Landscape Soundings, recomposition de l'espace sonore d'un marais dans le parc compris entre le Musée d'histoire naturelle et le Musée des beaux-arts de Vienne,1990; River Soundings, assemblage de sons captés en temps réel dans les rivières allemandes au Musée des télécommunications de Francfort, 1990.

      Ses projets futurs comportent : Acoustic Arc : Saint-Petersburg-Hamburg-Marseille, Mediale, Hambourg; Satellite Soundbridge Kyoto-Köln, Westdeutscher Rundfunk Köln, Studio Akustische Kunst, Museum Ludwig, Kyoto National Museum of Modern Art ; Earth Tones 1 pour le Oliver Ranch, Sonoma County, California, et Waterfronts pour le Lincoln Center de New York et le Public Art Fund.