Le récit interactif, tables rondes, 6 décembre 2000 — ENSAD-ARi, labEi, CIREN
  Le récit interactif à l'École nationale supérieure des arts décoratifs, Paris


Le récit interactif | Langage et écritures: Jacques MORIZOT, Jean-Pierre BALPE, Anne CAUQUELIN, Georges LEGRADY, François Soulages, Liliane TERRIER || Images et dispositifs: Jean-Louis BOISSIER, Grahame WEINBREN, Raymond BELLOUR, Anne-Marie DUGUET, Timothy MURRAY


Le récit interactif : Images et dispositifs



Timothy MURRAY Professeur au Department of English, Cornell University
Ithaca, New York
















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The Art of CD-Rom

Timothy MURRAYRécit, mémoire, sublimation + English text


1 — Introduction

Je commence ces remarques sur la mémoire, la sublimation, et le récit interactif en les situant dans le contexte de la fascination momentanée d'Antonin Artaud pour "la puissance virtuelle" des nouveaux médias, ce qu'il a connu comme "cinéma". Fasciné par ce qu'il appelait "la force virtuelle" et le mouvement du cinéma, Artaud a écrit avec passion sur des transformations culturelles promises par le cinéma et sa nouvelle "atmosphère de la vision." À ce précurseur de la performance contemporaine, le cinéma a donné des moyens pour "chercher dans le fond de l'esprit des possibilités à ce jour inutilisées." Au lieu de fonder l'affect théâtral dans le développement du réalisme et du récit du drame familial, il a situé la performance au seuil des avancées modernistes de la technologie. C'est-à-dire que l'artifice technologique de la lumière et du son a apporté à Artaud la rupture avec les effets engourdissants du réalisme mimétique et de sa passivité sociale. "Le cinéma me semble surtout fait pour exprimer les choses de la pensée... le cinéma, mieux qu'aucun autre art, est capable de traduire les représentations de ce domaine puisque l'ordre stupide et la clarté coutumière sont ses ennemis." Ce qui reste notamment de manière obsédante, dans cette évaluation de la performance multimédia, c'est l'emphase mise par Artaud sur la contribution des nouveaux médias aux récits de l'intériorité. "Le cinéma", écrivait Artaud, "me semble surtout fait pour exprimer les choses de la pensée, l'intérieur de la conscience."

Curieusement, d'ailleurs, c'était au même moment—quand Artaud croyait trouver dans la technologie la promesse d'une performance d'affect—que Freud a rompu avec sa fixation sur le rôle symbolique du récit théâtral pour réfléchir plus librement sur des affects des pulsions et des correspondances de l'incorporation du masochisme et de la sublimation. Les travaux plus récents d'analystes comme Jean Laplanche, André Green, Guy Rosolato et J.-B. Pontalis sur ces derniers textes de Freud ont mis l'accent sur des aspects non développées de la pensée freudienne à propos du Sur-Moi et du lien énigmatique entre l'incorporation, la sublimation, la mémoire, et les pulsions. Ce qui ouvre la porte non seulement à une contestation de la dominance causale de la structure oedipienne mais surtout à une interrogation sur la passivité téléphonique de l'analyste sublimé et du lecteur confiant—tous deux livrés au trouble des énergies du contre-transfert et de ses vicissitudes. Au centre de toute cette interférence, disent les analystes post-lacaniens, se trouve une déformation de l'appareil visuel et de son lien à la sublimation.






(1) "L'art ne reproduit pas ce qui est visible. il rend visible.' L'axiome qui ouvre la Confession créatrice de Klee est fameux; ...L'observation nous enseigne qu'on peut, qu'on doit 'apprendre' à voir. La peinture et le rêve nous enseigne l'inverse: qu'il faut 'désapprendre' à voir pour que, l'horizon de la chose, ses lointains, se donne à voir dans son immédiateté, pour que l'invisible apparaisse, à travers le visible."
J.B Pontalis,
Perdre de vue, Gallimard, 1988

(2) "Mais l'expérience visuelle permet également de concrétiser le manque à voir, l'invisible. On apprend ainsi, et c'est là véritablement une expérience, que l'on peut voir et revoir, même longuement, sans avoir vu. On ne cherche, on ne trouve, obstinément, que ce qui était connu. Le savoir et ses prévisions aident la rapidité de la perception, mais oblitèrent celle de la découverte. Il y a donc un 'temps pour voir', qui va à l'encontre de "l'impression" que l'on saisit dans la vision, dans le tableau, d'un seul coup l'ensemble de la représentation ou de la scène; En réalité il y a une 'lecture', un parcours des yeux, un 'scanning', une exploration qui demande patience et temps. "
Guy Rosolato, "L'objet de perspective dans ses assises visuelles",
Pour une psychanalyse exploratrice dans la culture, PUF, 1993, p. 35

(3) id. p. 44, p.282


2 — La scansion subjective

On se demande ce qui aurait pu se passer si Freud avait parlé avec Artaud de son rêve d'une performance technologique de l'affect qui devait perturber les effets lénifiants psychosociaux de l'idéologie du réalisme théâtral. Freud et Artaud auraient pu collaborer sur un scénario de film ou de projet multimédia comme Le jet du sang. Une telle rencontre manquée pourrait être comprise comme une simple curiosité de l'histoire, ou pourrait être attribuée à ce manque de sensibilité entre psychanalyse et pratique artistique. Quoique la psychanalyse soutienne avec constance la valeur curative de la créativité et célèbre fréquemment les arts pour leur manifestation de la sublimation artistique, elle le fait trop souvent aux dépens d'une prise en compte de pratiques artistiques contemporaines qui complexifient la notion freudienne de sublimation. Même des lectures sophistiquées de la sublimation par Laplanche, Rosolato et Green restent si surdéterminées par des références à la peinture représentationelle de la Renaissance et du modernisme qu'elles restent aveugles aux variations des métaphores appartenant en propre à l'art qui pourraient libérer leurs notions conventionnelles de la représentation artistique et du récit symbolique.

Je fais moins référence à l'analogie usuelle entre peinture et le rêve, comme J.B. Pontalis l'expose dans Perdre de vue
(1), qu'à des textes sur la sublimation faisant référence à la scène technologique émergente. Rosolato rappelle au lecteur la distinction psychanalytique entre les images primaires et "les signifiants digitaux" qui efface le prestige des images en ouvrant le sujet à l'abstraction linguistique. Réciproquement, il utilise la métaphore du "scanning" pour décrire l'activité de la lecture, du parcours des yeux, "une exploration qui demande patience et temps", aux dépens de l'expérience visuelle (2).

Comme Freud a fait appel à l'appareil du "mystic writing pad" pour comprendre le processus de la mémoire-écran, Rosolato pourrait citer, aujourd'hui, le "digital scanner" précisément comme une machine dont l'enregistrement des données de l'objet par recomposition de la forme, intégrée par le software, qui peut recomposer de biais la représentation et la pensée abstraite du document originaire. C'est dans ce processus de "scanning", d'ailleurs, que Rosolato situe la convergence avec ce qu'il appelle "l'objet de perspective' dans l'espace psychique:

"Nous retrouvons donc le chiasme entre le digital verbal et l'analogique représentatif visuel mais centré sur l'aporie. Il en résulte une double manifestation: celle de la relation de l'inconnu dans l'aporie et celle de l'objet de perspective qui la recouvre comme objet topologique. Ainsi, dans cet objet de perspective se donne le signifiant du manque. (3)"

Le manque est organisé par le processus phénoménologique de la scansion, pas seulement ou même pas nécessairement par les différences sexuelles ou la triangularité oedipienne. Ces derniers sont les formes sociales de la représentation par lesquelles le sujet donne forme au contenu. On pourrait même dire que c'est le but de la sublimation homosociale, par lequel, Freud nous l'a dit, les buts sociaux sont mis plus haut que les buts sexuels qui en fin de compte ne s'intéressent qu'à eux-mêmes. Les buts sociaux ont donc pour fonction de réécrire la subjectivité seulement comme une composante du résidus déterritorialisé du code.

En tant que résultat de cette double logique de la scansion à travers laquelle la forme ou la métaphorisation de l'objet scanné peut être reconnue mais pas nécessairement en termes de contenu ou de représentation, le statut des "représentations elles-mêmes pourraient n'appartenir qu'aux fantasmes", suggère Rosolato, "tandis que le visible, maintenu à distance, ne serait qu'une protection contre des contacts plus directs, suivant d'autres perceptions, d'autres sensations, ou inversement contre une pensée abstraite."

Des lecteurs de ces remarques sur "L'objet de perspective dans ses assises visuelles", faites en 1987, peuvent reconnaître des répétitions du séminaire sur "La Sublimation" fait par Jean Laplanche de 1975 à 1977 et qui a été publié en 1990 sous le titre Problématiques III: la sublimation. C'est là que Laplanche utilise une métaphore similaire pour souligner l'importance du processus de la temporalisation symbolique au préjudice du contenu symbolique: "nous retrouvons ce problème du temps comme scansion subjective, avec des moments hétérogènes et notamment celui de la 'déqualification', de la perte du symbole, de l'angoisse." Au centre de la scansion subjective, dit Laplanche, se trouve sa pensée de l'énergie de la sublimation par laquelle la notion de la subjectivité elle-même est rendue instable par des énigmes traumatiques de la scansion subjective qui circulent avec intensité, en relation avec l'incertitude de contenu et de signification (ce qu'il appelle ailleurs "le signifié énigmatique").

En prise avec de telles pensées sur la mémoire et la sublimation écrites pendant la période de naissance de la culture digitale et de la communication téléchargeable, je voudrais réfléchir sur leur relation prémonitoire sur le temps suspendu de l'esthétique digitale et ses moyens "énergétiques" de production. Particulièrement remarquable est l'intersection étrange entre d'une part les expérimentations digitales du livre multimédia et d'autre part les considérations psychanalytiques du visuel et sa relation aux processus de la mémoire et de la sublimation.

Dans la présentation du CD-Rom, Shock in the Ear, de Norie Neumark, artiste australienne, je voudrais suggérer que les développements dans la technologie digitale annoncent une déformation de l'appareil visuel d'une manière qui reconfigure et redonne de l'énergie à l'acte narratif, tout en apportant des métaphores ouvrant sur une meilleure compréhension des aléas de l'affect artistique. La lecture du livre digital de Neumark associée à la relecture des textes français sur la sublimation nous incitent à "désapprendre les conventions de la vision". L'horizon ou l'affect du visuel lui-même va déstabiliser les présupposés psychanalytiques et philosophiques des relations intersubjectives et sociales. Le défi posé par le média digital aux conventions alliées de la mémoire et de la sublimation n'est pas nécessairement nouveau mais il est forcément technologique, en faisant dans le travail artistique ce que Lyotard appelle l'anamnèse technologique. "Il s'agirait de se rappeler ce qui n'a pas pu être oublié parce que ça n'a pas été inscrit."


La meilleure approche actuelle de cet affect visuel est donnée par le CD-Rom Shock in the Ear.

Il invite l'utilisateur "à explorer cinq moments de choc, à éprouver le temps/espace bizarrement disloqué qu'est le choc. "Essai sur l'intensité et la fragmentation du moment et de la suite du choc, le CD de Neumark est organisé autour des cinq moments du choc: Attack, Decay, Resonance, Memory, The Call.




  • Shock in the Ear

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  • Attack Decay Resonance Memory


  • La manipulation du curseur à la surface des écrans colorés déclenche une litanie de sons naturels et électroniques qui accompagne les récits troublants de chocs: les premières heures après un accident de voiture, la torture de l'eau subie par un prisonnier politique, le choc d'un éclair de souffre sur un soldat de la deuxième guerre, et le choc de la "polyglossia" ressenti par une fille italienne, dans un foyer de réfugiés parlant des langues différentes. Bien qu'il y ait cinq récits que le lecteur peut traverser, le programme bloque le visiteur dans les moments spécifiques de chacun des chocs. Le visiteur ne peut quitter l'histoire d'un choc que lorsque le narrateur en a achevé le récit. La tension entre le mouvement libre de curseur à travers le champ visuel et le temps gelé de la narration donne une exemple de ce que Neumark appelle, "l'esthétique du choc dans lequel nous percevons une espace disloqué et un temps étendu pendant lequel ou après lequel les sensations et les perceptions nouvelles peuvent envahir l'utilisateur."

    Norie Neumark est une artiste du son et ce n'est pas surprenant que la résonance profonde des parties narratives provienne moins du graphisme que des tessitures et des grains des voix, dont l'étoffe sociologique narrative est constitutive de cette "ontologie la plus médiate" qu'est la voix elle-même, selon Neumark.
    Ajoutant à la qualité de ce CD-Rom, la présentation du cinq épisodes du choc inclut des bribes du même récit dit, en séquence variable, par chacun des narrateurs. Le choc est donc ressenti par tous les lecteurs, aussi bien de l'intérieur, dans ces récits dépliés, mixés, que de l'extérieur par cet effet d'interaction sociale et culturelle. Pendant un temps figé, le fragment du récit passe d'oreille en oreille, de personne à personne, de moi et un autre moi, dans ce que Neumark appelle "un espace de type radiophonique." L'énonciation et les aléas de l'interpellation radiophonique sont donc mises en scène comme le terrain de fondement du choc, un terrain tremblant dont l'attrait étrange va vraisemblablement désarmer et déranger même des utilisateurs les plus insensibles.

    Le sang-froid de l'interface de ce CD-Rom avec l'affect du choc peut être attribué à la formation d'artiste du son et de radio de Neumark. Elle a toujours joué avec l'élasticité et le plasticité du seuil expansif du son digital en contraste avec l'emphase du champ photographique et vidéomatique évident, par exemple dans des travaux de George Legrady et de Jean-Louis Boissier. En soulignant l'interface entre le son et le choc, tous les deux "prenant place dans le temps", Neumark veut inverser la hiérarchie traditionnelle de la vision placée au-dessus du son et "contester par le mouvement poétique et non-linéaire l'esthétique et la kinesthésie des CD-Roms."

    À travers Shock in the Ear le mouvement de curseur déclenche une litanie de sons naturels et synthétisés dont la tonalité inquiétante travaille à envelopper, sinon distordre les récits parlés. Aussi frappant dans ce travail qui pourrait virer vers le sensationnel par son sujet, est le placement intelligent de l'artiste "du temps/espace étrangement disloqué qu'est le choc" à l'intérieur du champ clos bidimensionnel fluide et subtile de la peinture .

    Les tableaux changeants de Maria Miranda sollicitent le spectateur de manière ludique par leur texture, les figures légèrement dessinées et des colorfields qui donnent littéralement corps à la bande son. Une séquence animée accompagne la description terrifiante de fourmis pénétrant dans la blessure ouverte de la jambe d'une victime d'accident. Elle n'affiche pas une image mimétique mais une feuille de papier pliée en deux; ailleurs, la description d'un violent tremblement, chez un patient soumis à un électrochoc est représentée par de rapides changements de couleurs, rouge, violet, bleu de l'écran; dans un autre cas la spirale noire décrite par un malade intoxiqué, est représentée par des figures humaines enfermées dans des cages d'oiseau dorées. Ce projet invite l'utilisateur à investir la zone fantasmagorique du choc plutôt que de se délecter à distance de la vision de la laideur.

    L'environnement esthétique de Neumark est tout à fait différent, par exemple, de celui de la culture numérique ordinaire, décrite par Mark Seltzer comme l'essence de la "culture de la blessure" (wound culture) contemporaine: "les phénomènes d'attroupement du public autour d'une scène de violence, de ruée vers la scène d'accident, d'agglutinement autour du point d'impact, ont contribué à édifier la wound culture. La fascination du public pour les corps déchirés et ouverts, l'engouement collectif pour le choc, le trauma et la blessure."

    Contrairement à cela, la bande son du CD Rom avec ses chuchotements qui appellent, les accords synthétisés et ses mélodies naturelles, contribue parfaitement à situer l'expérience de manière rétroactive et l'idée du choc dans un environnement kinesthésique étrangement apaisant.

    Le calme et la volupté attachés au champ visuel par la ruse auditive de Neumark, contrastent violemment avec la conception de la wound culture proposée par Seltzer. On entend le grésillement de l'électricité statique, plutôt que le tonnerre, des débris de verre qu'on balaye, plutôt que des pare-brise qui explosent, des rythmes abstraits dont la dissonance résonne d'une familiarité incertaine.

    En profond contraste avec l'attraction viscérale pour la wound culture, la surprenante vivacité du projet sur le choc de Neumark tient dans la manière dont il enveloppe l'expérience du choc dans une ouate kinesthésique productrice de pensée :

    "Ce que je recherchais c'était de donner une texture à l'expérience de l'espace du choc physique plutôt qu'une esthétique du choc prémoderne ou hollywoodienne. J'ai travaillé avec des sons qui ont décrit cet espace. Pas tellement l'impact du bris de glace mais le balayage de bris de verre qui décrivent et délimitent un espace fragmenté. Pas de cris, mais la respiration profonde."



    3 — L'intervalle du devenir : l'incompossibilté numérique

    L'attention artistique de Neumark portée à l'inertie douce et à la tranquillité étrange de la suspension du temps, crée un environnement digital, au sein duquel l'expression rétroactive du choc peut être pensée à la frontière de ses manifestations diverses culturelles et historiques. Ceci devient manifeste lorsque le curseur fait apparaître des champs de couleur et de texture énigmatique, indéchiffrable. J'ai compris que cette oeuvre n'était pas seulement un matériel artistique mais un outil théorique pour appréhender l'univers numérique.

    Il s'agit plus de la condition fantasmagorique de la réception elle-même, assimilable à la situation d'attente dans un temps en suspens, cet état décrit par la victime de l'accident comme "la vision d'un film muet".

    La promesse interactive de la culture numérique, ne révèle pas uniquement "du devenir-visible de la matérialité de la communication", mais de quelque chose de plus, comme une voile obscurci, quelque chose plus proche de l'intervalle de la troisième à la quatrième dimension reliant l'espace au temps, de la cristallisation du temps et de l'image chez Deleuze, et de la différance chez Derrida qui combine l'espace-devenir du temps et le temps-devenir de l'espace.

    L'esthétique numérique est avant tout un intervalle du devenir. C'est donc un espace amibien et fractal d'un continuum temporel du devenir qui s'ouvre au spectateur, qui enveloppe le passé, le présent et le futur et qui met en avant l'énigme créatrice de nombreuses tensions dialectiques véhiculant le phantasme idéologique du modernisme: être et non être, ressemblance et simulation, corps et esprit, matière et simulacre.

    Il peut s'avérer utile de noter que Deleuze comprend un tel continuum temporel dans son impact sur la représentation de l'espace uniquement dans la mesure ou l'interstice est inscrit dans l'enchaînement ou dans la différence de la durée et du temps.

    La durée parfois interminable de la répétition digitale mis en scène par Neumark comme la continuelle circulation en boucle du son figure une crise ontologique à travers laquelle l'utilisateur est confronté à l'extériorité non-localisable de l'enchaînement.

    La référence de Deleuze à la notion leibnizienne d'incompossibilité a toujours été ambivalente. Dans une note de bas de page de Logique du sens, Deleuze propose un résumé des trois éléments constitutifs du monde qui inscrivent la monade leibnizienne à la frontière de l'incompossibilté: un qui détermine le monde par la convergence, un autre qui détermine les individus parfaits dans ce monde, et finalement un troisième qui détermine les éléments incomplets ou plutôt ambigus communs aux différents mondes ou aux individus nombreux qui leur correspondent. Deleuze s'intéresse à comment ces éléments échouent à converger sans jamais se nier ni se faire obstacle.

    Plutôt que converger ou se faire obstacle, plutôt que d'être dans une logique de l'exclusion ou de l'inclusion, ils existent dans une relation paradoxale l'un envers l'autre, divergeant et coexistant: en tant qu'"incompossible". Ainsi coexistent incompossiblement les cinq états de choc dans Shock in the Ear de Norie Neumark.



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