Interdisciplinarité des arts numériques — Théâtre et spectacle vivant, Recherche musicale, Littérature et génération de textes, Arts visuels
  Séminaire-Colloque du 13 novembre 1998


Théâtre et spectacle vivant : Franck BAUCHARD, Jean Marc MATOS | Recherche musicale: Jacopo BABONI SCHILINGI | Littérature et génération de textes: Jean CLÉMENT, Jean-Pierre BALPE | Arts visuels: Liliane TERRIER, Jean-Louis BOISSIER.


Jean Marc MATOS
Danseur et chorégraphe, a enseigné à la New York University


Théâtre et spectacle vivant:
Jean Marc MATOS, Danse et technologie

"Nous avons besoin d'une connexion avec la technologie. Il n'y a pas de meilleur art que la danse pour la réaliser. Vous êtes en train de faire un travail important, un travail qui a besoin d'être fait. Avec mes meilleurs souhaits." John Cage, mai 1986.



Manifeste pour un "trait d'union entre valorisation et clandestinité"


Pour le XXIe siècle, les savoir-faire que nous avons développés jusqu'à présent comme des survivants isolés peuvent-ils devenir les outils nécessaires à la création d'une niche à l'intérieur d'un vaste projet interdisciplinaire de création-recherche-formation, hautement technicisé et centré sur le corps? Les relations déjà établies entre recherche scientifique, développement technologique et création artistique, illustrent la possible fécondation mutuelle de ces diverses activités. Il suffit d'évoquer pour preuve, les exemples les plus anciens: la composition musicale et la synthèse de sons de l'IRCAM, le binôme arts plastiques et infographie, la création littéraire et l'intelligence artificielle.

Dans ce panorama qui tend à s'élargir d'avantage il est à remarquer que la danse et la chorégraphie, arts du corps et de la synthèse sensorielle sont encore bien peu présentes.Pourquoi la danse ne rendrait-elle pas compte elle aussi de son époque en utilisant les inventions contemporaines et en les enrichissant dans la création? Les technologies numériques prolongent les capacités merveilleuses de l'homme et leur appropriation suppose le risque de leur force et de leur présence mais aussi le risque de déplacer leurs codes utilitaires pour explorer les contraintes et les libertés qu'elles représentent.

Pourquoi la danse s'empêcherait-elle de s'y confronter? Le corps, dans son appréhension sensorielle et créatrice, est aujourd'hui, plus que jamais, fondamental et indispensable si nous voulons établir une connexion viable avec la technologie en général, et avec les technologies numériques et les nouveaux médias en particulier. Le projet présenté ici a l'ambition de pallier modestement cette lacune et au-delà. Il se veut également être une contribution à l'attention qu'il nous est nécessaire de porter, ensemble, sur cette question fondamentale : "quel devenir pour le corps humain dans l'environnement hautement technicisé d'aujourd'hui, déjà celui de demain?" Tous les projets réalisés à ce jour, en France et ailleurs, et qui associent, de manière directe et indirecte, les langages du corps, de la danse et de la chorégraphie à l'ulilisation des technologies numériques reposent des questions sur le travail de celles-ci (cf. les technologies interactives de l'image, du son, de la lumière, de la scénographie).




Fonction des technologies numériques


Que signifient-elles pour le corps dansé, que lui apportent-elles? Qu'emportent-elles? Entre le réel et le virtuel, une confusion, une incertitude ou un doute peuvent s'installer: qui manipule qui? Est-ce qu'un autre voyage au pays de l'invention et de la notation du mouvement est possible par la confrontation de ces différentes disciplines et techniques? En quoi les différents dialogues du corps dansé et des technologies sur scène peuvent-ils participer à l'émergence d'un langage "multimédia vivant" nouveau?

Le terme multimédia étant entendu ici comme l'écriture commune à la chorégraphie et aux nouvelles technologies scéniques utilisant notamment l'informatique (pour l'image, le son, la lumière, la scénographie, l'interactivité sur scène et éventuellement avec le public, les projets "en ligne",). Pourquoi et comment articuler scénarii chorégraphiques et utilisation des machines, des images et des objets nouveaux? Ces questions, il serait aujourd'hui souhaitable voire indispensable qu'elles puissent être posées, partagées avec d'autres, reformulées de diverses manières et mises en perspective par rapport à l'ensemble du spectacle vivant et par rapport au monde des sciences et des technologies.

La danse peut et doit pénétrer le monde de la science autour de ces questionnements. Il revient à l'artiste, dans cette société technicisée, de s'approprier ces "démons" pour se faire l'écho des émotions premières de l'homme. Face à la substantielle avance repérée dans ces domaines dans de nombreux pays d'Europe, et notamment au Royaume Uni, en Allemagne, en Hollande, etc., ainsi que dans bon nombre de pays extra européens (USA, Japon, Canada, etc.) quelle est la problématique du retard déjà pris par la France, pays dans lequel les préoccupations et les questionnements soulevés par le statut des nouvelles technologies face à l'art chorégraphique sont devenus grands? Il est devenu impératif de faire dialoguer les spécialistes et les non spécialistes, de donner des moyens honorables à ceux qui travaillent à l'éclosion de projets novateurs qui se situent à la croisée des champs artistiques traitant du corps en général (la danse, la chorégraphie, la performance, le théâtre, l'opéra, les nouvelles écritures scéniques) et du vaste territoire des technologies à support numérique (dont le développement est de plus en plus rapide et inéluctable).

Il est devenu nécessaire et urgent d'établir des passerelles constructives et approfondies entre les artistes et chercheurs en danse, les structures déjà existantes et les institutions travaillant sur les terrains hybrides de la création artistique et des technologies informatiques, afin de rendre possible leur mutuelle fécondation. C'est à partir de l'ensemble de ces questions qu'est née l'idée d'un projet, de dimension internationale, proposant une approche mixte sur les écritures du corps, les questionnements sur la corporéité et l'intégration des technologies de l'informatique à la création, à l'indispensable recherche qui doit la précéder, à la nécessaire pédagogie qui l'accompagne et à sa médiation. Quelques autres collègues chorégraphes et moi-même, ainsi qu'un nombre croissant de personnes concernées, dans l'Institution et hors Institution, sont soucieux de pouvoir permettre l'appropriation, par l'ensemble de la communauté chorégraphique, des apports novateurs des technologies nouvelles à support numérique dans les démarches de création, de recherche et de formation en danse.

Ceci, peut-être, crée une situation inédite. Sans aller plus avant et en détail sur les questions de la création chorégraphique, principal moteur de toute recherche en la matière, il est important de souligner que, contrairement à nombre d'idées reçues, le dialogue actuel entre deux traditions apparemment séparées (art/sciences) peut à la fois donner accès à des outils nouveaux et performants pour les disciplines de la danse et également soulever des problèmes inédits pour un certain nombre de disciplines scientifiques. Nous pouvons citer parmi elles: l'informatique, la robotique, les sciences cognitives, la sémiologie. Les problèmes évoqués sont susceptibles à la fois de fournir à la communauté des chorégraphes des outils puissants de création, de mémorisation et de gestion de l'invention et également de susciter en milieu scientifique des développements technologiques intéressants, en particulier dans le domaine crucial de la communication homme-machine.




Un "laboratoire danse-médias-technologies numériques"


Les questions artistiques et scientifiques originales nées de la rencontre de la danse et de la technologie informatique permettent ainsi d'imaginer une structure de création-recherche-formation spécifique et pilote, une sorte de "laboratoire danse-médias-technologies numériques", en étroite relation avec les activités de nature similaire et pertinentes qui existent actuellement de par le monde dans un certain nombre d'établissements culturels, scientifiques, universitaires, industriels et autres. Ce "laboratoire" unique de création-recherche-formation-médiation est en cours de définition. Nous pouvons imaginer sa mise en place, d'ici à l'an 2000-2001. Il est axé sur la création, la recherche et la formation autour des 3 domaines où la danse rencontre des préoccupations d'ordre technologique.

Ces domaines sont:les écritures informatisées du mouvement et de la chorégraphie (logiciels informatiques d'aide à la composition et outils performants pour la recherche, la conservation et la valorisation du patrimoine chorégraphique); les écritures scéniques et l'utilisation novatrice des techniques de l'image, du son, de la lumière, de la machinerie, de la scénographie dans le contexte du spectacle vivant; le corps dansé dans les espaces du virtuel (écritures vidéographiques, environnements vidéo, interactifs ou connectés en réseau, projets de danse "en ligne" utilisant la visiophonie, internet, dispositifs de réalité artificielle, installations, performances, réalisation de CD Roms, de films, autres espaces physiques type travail en apesanteur, environnements robotisés, etc...).




Les écritures chorégraphiques et la notation assistée par informatique


Ce domaine est consacré à l'écriture informatisée de la danse et de la chorégraphie. La mémoire : une des problématiques de la danse contemporaine. Préservation et mémoire des danses par les systèmes de notation. L'informatique comme outil d'aide à la création, à la capture du mouvement, à la gestion de l'invention et à la notation/mémorisation. L'ordinateur pour la mise au point de partitions spatiales et temporelles. L'ordinateur pour la simulation du matériau dansé (animation 3D multi danseurs et capture optique du mouvement). Evolution du langage descriptif de la danse grâce à la notation à la fois spatiale, temporelle et dynamique. Recherche exhaustive des possibles dans l'invention de formes chorégraphiques. Exploration illimitée des ressources du mouvement humain. Construction de nouveaux modèles de représentation avec le corps comme référence. Informatisation de l'écriture Laban. Le logiciel "Life forms" et ses développements. Le CD-Rom "Improvisation Technologies" de William Forsythe. Eléments de réflexion pour la mise en place d'un programme de recherche aboutissant à la réalisation d'un système interactif de notation informatisé optimal.




Les nouvelles écritures scéniques


Ce domaine concerne les rapports entre la danse et les nouvelles technologies sur la scène du spectacle vivant. Le corps sur la scène du vivant : qu'est-ce qui est réel? Qu'est-ce qui est virtuel? Les questionnements concernant la "présence" du corps réel et du corps virtuel sur scène. Danse et scénographie d'images : peut-on parler de composition multimédia vivante?
Le dialogue entre la danse et l'image dans le contexte de l'environnement scénique. L'interactivité sur scène : est-ce un mythe ou une réalité?
Le corps dansé dans les environnements vidéo interactifs ou connectés en réseau (danse par visiophonie, sur internet). Ce domaine touche à la création et aux représentations du corps dansant dans les arts dits interactifs (installations, performances, réalisation multimédia) et dans d'autres espaces physiques et technologiques (immersion en apesanteur, dans des dispositifs de "réalité virtuelle", dans des environnements machiniques. Il couvre aussi les enjeux des projets de danse "en réseau" dans le cyber espace (internet, visiophonie) et les chorégraphies "distribuées" entre plusieurs sites distants, connectés entre eux (danse "en ligne").

Ce projet est ouvert à l'ensemble de la communauté chorégraphique et concrétise le désir de K. Danse de partager avec d'autres son expérience et son savoir faire sur ces domaines novateurs. Ce "laboratoire" se veut, par nature, itinérant, collectif, national et international. Une première réflexion a débuté sous la forme d'une enquête-étude conduite, d'abord en France en 1998, grâce au soutien du Ministère de la Culture (Département des Industries Musicales, DMD) et du Métafort d'Aubervilliers.




Le "laboratoire"


Le "laboratoire" comprend, à l'heure actuelle : Un groupe de travail informel autour de "Spectacle vivant-Nouvelles Technologies",qui se réunit régulièrement sur Paris, avec l'aide de l'Association Art 3000. Ce groupe poursuit la réflexion sur la définition même du Laboratoire; Un site "plateforme de communication" prochainement accueilli à l'Université Paris 8 (Département Danse, UFR Art et Philosophie); Une proposition soumise au Centre National de la Danse de Pantin. Des échanges avec des chorégraphes de New-York, du Texas, de Londres, d'Amsterdam, de Montréal, au Japon, en Allemagne, en Norvège, etc...regroupés autour du site internet DTZ ("Dance Technology Zone"), accueilli par l'Université de l'Ohio, USA. Ces échanges culmineront dans le cadre de l'IDAT (International Conference on Dance and Technology) entre le 25 et le 28 Février 1999 à l'Université de l'Arizona, Tempe, USA.

Les objectifs du "laboratoire": Servir la communauté chorégraphique dans son ensemble, et ce en relation avec les autres communautés artistiques et scientifiques. Donner suite ainsi à l'ensemble des désirs exprimés par de nombreux membres de ces deux communautés. Lui permettre une meilleure compréhension du développement des technologies numériques et de leur possibles applications à la danse et la chorégraphie. Lui offrir la possibilité d'une appropriation de ces techniques afin qu'elles puissent être, le cas échéant et dans de bonnes conditions, utilisées pour la création, la formation et la recherche en danse. La préparer ainsi à faire face à l'urgence des mutations et à pouvoir agir avec créativité sur les évolutions mêmes de ces technologies. Susciter une interaction féconde entre création, formation et recherche chorégraphiques.

Au delà, élargir les domaines et champs d'action de la chorégraphie en général, de la danse et en particulier dégager ainsi des cadres de rencontres et d'échanges transdisciplinaires avec les milieux de création-formation-recherche en musique (l'I.R.C.A.M.), arts plastiques et création infographique (l'I.N.A., les départements "images de synthèse" d'entreprises privées de production audio-visuelle, les Ecoles d'Art en réseau, en France et à l'Etranger), scénographie (et techniques de scène associées), architecture. Voir aussi: les techniques corporelles proches de la danse, la médecine, les sports de haut niveau.

Ce "laboratoire" proposerait ainsi une large base de réflexion et d'appui logistique en la matière, tant en direction des chorégraphes, danseurs, notateurs, chercheurs et toute personne impliquée dans la recherche, au sens large du terme, en danse et chorégraphie, des chercheurs, scientifiques,techniciens, concernés par l'aspect novateur des problèmes abordés ainsi sous ce double éclairage. Il s'agit ici de réaliser, mettre en place et développer une plate-forme internationale de communication "interactive" servant les secteurs de la création, la recherche et la formation dans les domaines de la danse, de la chorégraphie, des techniques corporelles connexes et des disciplines artistiques associées (arts multimédias, création image, musique, scénographie).

Les outils de navigation. Les cinq rubriques: Création (les praticiens, compagnies, groupes, individus).Technique (équipements, outils, développement technologique). Formation (appropriation, sensibilisation, matières enseignées). Echange (plateforme de communication, liens, conférences). Théorie (analyse théorique, historique, esthétique).

Les trois domaines: Notation assistée par informatique. Ecritures scéniques. Corps dansé et environnements virtuels (interactifs ou connectés en réseau, danse par visiophonie, sur internet).

Les quatre espaces: Diffusion (lieux de réalisation, réseau culturel, espaces alternatifs). Valorisation/réflexion (création/recherche/formation/médiation): universités, écoles d'art, centres de documentation, associations, lieux d'accueil de stages, d'organisation de colloques. Recherche scientifique et développement technologique : centres de recherche, entreprises privées. Production (structures et moyens).

Ce laboratoire, conçu et articulé autour de quatre missions, la création, la recherche, la formation et la médiation, propose d'être une structure d'accueil pour des projets de création (nouvelles écritures pour la scène et pour l'image et des projets de recherche et expérimentation (nouveaux outils, notation chorégraphique).




Programmes spécifiques Danse <===> Nouvelles Technologies


Des projets de formation (ateliers d'initiation aux dispositifs et logiciels informatiques existants, intégration danse-vidéo-informatique, stages corps et images). Des projets de médiation (rencontres, débats, conférences, symposiums, publications) sur tous les thèmes liant la danse et la chorégraphie à l'utilisation des technologies numériques.

Dans le sens Nouvelles Technologies ===>Chorégraphie
. La chorégraphie, dans ce projet, est appréhendée sous ses aspects d'applications multiples comme une discipline artistique globale, capable d'intégrer les nouvelles technologies à la création artistique. Il s'agit donc d'utiliser les disciplines telles que l'informatique (interactive), la robotique, l'intelligence artificielle, les recherches en psychophysiologie de la perception, etc., et d'en adapter les principes novateurs pour servir la composition en chorégraphie, ses langages de notation ainsi que la possible réalisation de nouveaux environnements scéniques pour le spectacle de danse en particulier et le spectacle vivant en général. La recherche aurait ainsi pour objectif de concevoir de nouveaux programmes informatiques appliquables à la danse, à la chorégraphie, et au spectacle chorégraphique multimédia.

Les secteurs abordés seraient notamment: la modélisation et l'animation dynamique 3D du corps humain, la chorégraphie assistée par ordinateur: ordinateur mémoire et création chorégraphique (processus de gestion de l'invention de formes différentes d'écriture, l'écriture multi-partitions communes à la danse, la musique, la scénographie d' images, la lumière, le décor,la génération d'événements aléatoires et déterministes.

Au delà, et dans un avenir proche, l'étude, la recherche et la réalisation d'un simulateur d'image 3D à partir de l'étude approfondie des propriétés de la vision et de la perception humaine pourrait influencer la mise au point de nouveaux effets visuels (susceptibles de créer des impacts psychologiques et expressifs). Il sera alors possible d'imaginer la réalisation d'éléments de technologie scénique tels que des décors robotisés et interactifs pour spectacles vivants, installations, environnements publics, expositions, des supports d'images évolutifs et réalisation d'images servant la création vidéo et la création télévisuelle (images de synthèse "intelligentes").

Dans le sens Chorégraphie ===> Nouvelles Technologies. De même que les équipes de Carnégie Mellon (USA) attaquent les "décisions en univers incertain" par le biais du jeu d'échecs et que les équipes de l'Université de Waseda (Japon) abordent les algorithmes sophistiqués capables de gérer "l'incertitude" par l'intermédiaire de la robotique musicale, le domaine chorégraphique peut servir de point de départ à des études très diverses qui mettent en jeu de multiples techniques et technologies.Dans des projets de recherche scientifique liée à la robotique, l'intelligence artificielle, etc. les procédés propres à la danse et à la chorégraphie peuvent être non seulement appliqués directement, mais ils peuvent également apporter une vision nouvelle aux principes techniques visés et ouvrir vers des solutions originales à trouver.Un futur Laboratoire de recherche Danse <===> Science prouverait ainsi son ouverture vers le monde de l'industrie et des industriels pourraient à leur tour définir un ensemble de projets utilisant les problématiques offertes par la danse et la chorégraphie.