Interdisciplinarité des arts numériques — Théâtre et spectacle vivant, Recherche musicale, Littérature et génération de textes, Arts visuels
  Séminaire-Colloque du 13 novembre 1998


Théâtre et spectacle vivant: Franck BAUCHARD, Jean Marc MATOS | Recherche musicale: Jacopo BABONI SCHILINGI | Littérature et génération de textes: Jean CLÉMENT, Jean-Pierre BALPE | Arts visuels: Liliane TERRIER, Jean-Louis BOISSIER.


Franck BAUCHARD est inspecteur de la création et des enseignements artistiques à la direction du théatre et des spectacles au Ministère de la Culture, chargé de la recherche et de l'Europe, critique de théatre.


Théâtre et spectacle vivant:
Franck BAUCHARD —
Création théâtrale et technologie numérique



Le théâtre, lieu de résistance face au tout numérique?


Les rapports du théâtre et de la technologie sont aujourd'hui placés sous le signe du paradoxe. Autant la technologie est demandée en coulisse afin de faire progresser les performances de la régie - les jeux d'orgue sont aujourd'hui numérisés et peuvent être mis en réseau - autant il existe une résistance à son exhibition sur la scène. "La technique au théâtre a la réputation d'''être un mal nécessaire, qui entrave l'exercice de l'art plutôt qu'il ne le favorise" déplorait déjà Piscator à la fin des années cinquante, qui ajoutait qu'il était difficile de faire admettre la technique comme une question d'art ("La technique, nécessité artistique du théâtre moderne").

Tout se passe aujourd'hui comme si la recherche de la spécificité du théâtre passait par une sanctuarisation de la scène vis-à-vis des moyens modernes d'information et de communication. Face à la radio, la télévision, et maintenant le cyberespace, le théâtre se définit désormais comme un espace fondé sur la co-présence de l'acteur et du public. Il affirme le vivant contre l'artificiel, l'immédiateté contre la médiation, l'authenticité de la présence contre les vertiges du virtuel. Cette conception qui s'érige en conviction a pour elle la force de l'évidence, et semble répondre à la nature des choses. Pourtant, elle est inscrite dans l'histoire du théâtre, elle se situe consciemment ou inconsciemment dans le prolongement d'un débat esthétique des années soixante. Face aux nouvelles technologies, le théâtre mime ou plutôt singe l'attitude qu'il avait eu face à la télévision.

Cette conception est en effet finalement assez récente. En 1958, Jacques Polieri éditait un extraordinaire ouvrage, "Théâtre, cinéma, télévision" qui, en s'appuyant sur les expériences des avant-garde, montrait qu'il y avait une circulation incessante des technologies d'un domaine à l'autre. Prenant le contre-pied de cette tendance, Grotowski affirmait alors que le théâtre "ne peut exister sans la relation acteur/spectateur, sans la communion de perception directe, vivante" alors qu'il recherchait ce qui appartenait en propre au théâtre. La revendication d'un théâtre Pauvre s'accompagnait logiquement d'une condamnation sans appel du "théâtre Riche": "le théâtre Riche dépend de la cleptomanie artistique, puisant à d'autres disciplines, édifiant des spectacles hybrides, des conglomérats sans caractère ni intégrité, présentés maintenant comme un ouvrage d'art total. En multipliant les éléments assimilés, le théâtre Riche essaie d'échapper au piège que lui tendent le film et la télévision. Depuis que le film et la télévision excellent dans le domaine des fonctions mécaniques, le théâtre Riche a lancé un appel pompeux et compensatoire pour le "théâtre total"...Peu importe combien le théâtre dépense et comment il exploite ses ressources mécaniques, il demeurera technologiquement inférieur au film et à la télévision. Par conséquent, je préfère la pauvreté au théâtre"("vers un théâtre Pauvre"). Le théâtre Riche exerce donc un véritable effet de repoussoir permettant de légitimer le théâtre Pauvre.

Le rappel de ces arguments montre bien que l'introduction de la technologie numérique au théâtre dépasse de simples considérations techniques et même esthétiques, pour alimenter un débat philosophique, voir théologique, sur la présence de l'acteur et la coprésence de l'acteur et du public. Mais face à l'idéalisme métaphysique, qui allait jusqu'à faire de l'acteur, "un acteur saint", il y a peut 'être "des raisons de douter de cet ordre rassurant des présents" (Derrida, "Spectres de Marx"), des raisons de douter de l'imperméabilité de la frontière entre le réel et son simulacre, le réel et le virtuel.

Les architectes Diller et Scofidio, qui collaborent régulièrement avec le collectif The Builders association, ainsi qu'avec le chorégraphe Frédéric Flamand, résument bien l'enjeu artistique du spectacle vivant à l'ère des nouvelles technologies, lorsqu'ils affirment dans une optique de déconstruction ludique, vouloir "créer des interférences de la perception spatiale et temporelle de l'événement vivant, taquiner les distinctions faites entre le vivant et le médiatisé, saper l'autorité que l'expérience vivante peut avoir sur l 'expérience médiatisée, révéler le théâtre comme une autre expérience médiatisée, et perturber le type de perception communément admise au théâtre" (interview publié dans "Alternatives théâtrales" à propos du spectacle Moving Target). A ceci près, que la problématique du vivant face à la technologie n'est pas complètement identique à celle de l'acteur en raison de son double statut d''être vivant et de personnage.




De nouvelles pratiques de création


Pour beaucoup la cause est donc déjà entendue avant même de s'attacher à l'observation de la manière dont les technologies numériques travaillent la question du théâtre et dont elles sont à l'oeuvre sur la scène. Pourtant, des pratiques de création se ont jour à travers le monde, qui esquissent à l'aide de nouveaux outils ce que sera peut -être le théâtre de demain. Il s'agit de répertorier ces nouvelles démarches de création , en montrant d'une part comment elles sont issues d'une relecture des expériences des avant-gardes historiques, et en tentant d'autre part, de dresser une première typologie de la manière dont les technologies numériques sont utilisées sur la scène.




Le rapport aux avant-gardes: continuités et ruptures


Le cadre de référence de ces démarches est fréquemment le mouvement de rethéâtralisation du théâtre du début du siècle dont la préoccupation était d'affirmer l'autonomie du théâtre par rapport à la littérature. Cette volonté d'échapper au logocentrisme de la scène conduisait à faire de cette dernière le vecteur de l'interdisciplinarité, le lieu d'une aventure du sensible, où la musique, les arts plastiques, le cinéma, l'architecture étaient les composantes d'un nouveau théâtre.

Ces spectacles se présentent le plus souvent comme des étapes de recherche et d'expérimentation plutôt que comme des produits finalisés. On retrouvera cet expérimentalisme chez Robert Lepage qui défendra son spectacle Elseneur comme une première approche de Hamlet, ou chez Mark Reaney qui teste de nouveaux outils et des dispositifs scéniques inédites dans chacun de ces spectacles. Les artistes utilisant les nouvelles technologies se gardent de s'inscrire dans des logiques de rupture pour défendre une attitude expérimentaliste qui tend à détourner, à recomposer, à distordre les syntaxes et les langages acceptés comme tels.

Cette différence d'approche est fondamentale en particulier quand on la confronte à la vision de l'acteur dont la disparition dans l'effigie ou la marionnette fut parfois souhaitée par certains réformateurs du théâtre, alors que sa présence est absolument requise dans le théâtre de médiation technologique dont l'enjeu est de confronter le vivant et la machine.




Essais de typologies des démarches de création


Plusieurs approches sont possibles. On pourrait partir de quelques notions propres à l'art numérique - l'interactivité, l'hypertexte, etc.- et observer comment elles se déclinent dans le domaine du théâtre. On pourrait évoquer les spectacles les uns après les autres qu'on définirait dans un genre intitulé "spectacles multimédias". Mais cette approche à l'inconvénient à notre sens d'exhiber la technologie comme signe. Au lieu d'aborder la problématique des technologies numériques au théâtre du point de vue du récepteur, c'est-à-dire du spectateur, nous vous proposons d'aborder cette question du point de vue des praticiens, c'est-à-dire à partir du plateau. Ce qui nous questionne, c'est d'observer comment l'acteur, le dramaturge, le metteur en scène, le scénographe sont confrontés et se confrontent aux nouvelles technologies. C'est dans la manière dont le jeu, la dramaturgie, la mise en scène, la scénographie, sont respectivement transformées par la technologie numérique, que s'opère le passage à un autre théâtre, comme elles nous permettent de voir le théâtre autrement.




Le jeu de l'acteur


Que devient l'art de l'acteur lorsque son corps est appelé avec la multiplication de ses projections sur des écrans, à devenir le matériau de la scénographie ? La démultiplication de l'acteur sur des écrans dans de nombreux spectacles utilisant notamment la vidéo a donné lieu à de savantes spéculations sur la fragmentation du champ de la perception et l'éclatement de l'espace de la représentation. Il reste à percevoir quelles sont les exigences de ce type de démarche pour l'acteur. Pour le critique américain Johannes Birringer, un acteur séparé de son corps et de sa voix n'est plus un acteur. La médiation technologique de l'acteur conduit inéluctablement à une "dislocation de l'acteur". Malheureusement, peu d'acteurs se sont exprimés sur cette expérience étrange de démultiplication de soi à travers les images.

Les propos de Robert Lepage sur son interprétation de Hamlet dans Elseneur constitue un témoignage passionnant sur l'art de l'acteur au sein d'une configuration technique complexe: vidéosurveillance, caméra infrarouge. Il affirme ainsi d'abord ("pour une technologie bancale", interview publié dans Puck) que la technique lui permettait "de ne pas jouer certains personnages, mais de les incarner", comme si elle n'était qu'un simple prolongement de son corps. Cela nécessite un jeu sobre, précis, contrôlé. Son expérience sur le plateau d' Elseneur l'amène finalement à définir un nouveau paradoxe du comédien: "plus je suis caché derrière les distorsions et les images multipliées, plus je trouve facile de parler de moi, car les moyens techniques utilisés rendent le contact avec le public très intime" affirme-t-il en effet. Les projections d'images et l'amplification de la voix de l'acteur agissent comme des masques visuels et acoustiques électroniques qui rapprochent l'acteur et le public. Elles conduisent pour Lepage, non pas à déshumaniser l'acteur, mais au contraire à l'exposer dans ce qu'il a de plus fragile et à montrer -et amplifier- ses imperfections. Cette intimité avec les spectateurs est d'autant plus intéressante quand il tourne dans des grandes salles. La question artistique se double alors d'enjeux économiques sur l'exploitation de ce type de spectacle.

Chez Marc Reaney, scénographe américain, l'utilisation de la réalité virtuelle a tendance à paralyser l'art de l'acteur. La performance de la scénographie virtuelle dans Wings fait entrer le spectateur dans les perceptions du personnage rendant ainsi impossible une véritable interprétation de la part du comédien. Tout se passe comme si la scénographie se construisait avec le personnage mais sans l'acteur. Le scénographe devient l'interprète du personnage et s'interpose ainsi entre le spectateur et l'acteur. "L'ordinateur était le personnage principal" constatait ainsi le metteur en scène Ron Willis. Ce parti-pris venait d'une réactualisation des conceptions de Robert Edmond Jones qui s'était fait l'apôtre dans les années quarante d'un théâtre du futur dont l'ambition était de révéler l'homme dans sa plénitude, dans la dualité de ses actions extérieures et de sa vie intérieure: "le nouveau théâtre (...) sera montré sur une scène à deux pistes. L'expérience objective sera interprétée par des acteurs en chair et en os (...) mais au dessus, derrière et tout autour de cette scène, un mur d'image sera dressé sur lequel l'univers intérieur des personnages de la pièce sera projeté, évoluant au fur et à mesure des pensées et des émotions". Cette conceptions où le personnage se scinde entre son corps et sa vie intérieure conduit à une véritable dislocation de l'acteur qui s'efface dans l'exhibition de sa transparence. La recherche d'une plénitude de la présence de l'acteur - Reaney utilise la réalité virtuelle pour entrer dans la tête des personnages - conduit à sa disparition.

En revanche dans The adding machine, la direction d'acteur s'oriente sur le jeu mimé. Ce parti-pris rappelle la collaboration privilégiée qu'entretenait Jacques Polieri avec Etienne et Maximilien Decroux, qui a fait du mime corporel un art de scène autonome. Une autre voie explorée, est celle de Georges Coates, qui a réalisé plusieurs spectacles multimédia comme The Nowhere Band en 1995 et 20/20 Blake en 1997. Au dédoublement de l'acteur succède le dédoublement de l'espace théâtral. Par le biais de l'Internet, il a fait jouer ensemble des acteurs qui se trouvaient dans des pays différents. Ainsi, dans The Nowhere Band, un acteur allumait une allumette pour un acteur qui évoluait sur le plateau à travers une forêt créée à partir de projections de diapositive en trois dimensions et qu'il s'enflammait. Le jeu de l'acteur dans un théâtre en ligne questionne le processus de répétition, le rapport de l'acteur à l'espace et à son partenaire de jeu, c'est-à-dire toutes les bases de l'art de l'acteur.




Dramaturgie


"La technique développe de nouveaux contenus", faisait remarquer Piscator. L'utilisation des nouvelles technologies doit toujours 'être dramaturgiquement fondée si on ne veut pas en rester aux effets spéciaux et à la stimulation sensorielle prise comme une fin en soi. À considérer les spectacles récents, on peut être surpris par le fait que les metteurs en scène qui utilisent les nouvelles technologies montent autant de textes classiques. Hamlet et la Tempête pour Lepage, Faust et Hedda Gabler pour Marianne Weems, le répertoire américain du XXe siècle pour Mark Reaney. Les nouvelles technologies ne donnent pas encore lieu à une écriture théâtrale spécifique mais permettent de donner de nouvelles interprétations de textes dramatiques. "Le fait d'utiliser de nouvelles technologies nous fait découvrir que peut-être la pièce raconte des choses qu'on imaginait pas", constate Lepage à propos de Hamlet. La technologie permet en effet à un acteur de jouer l'ensemble des personnages de la pièce. Ils deviennent ainsi des prolongements de Hamlet, dont ils figurent les projections, à moins que leur ressemblance vienne renforcer l'impression qu'il y a une consanguinité entre les personnages. La schizophrénie, l'inceste et la folie deviennent alors les fils conducteurs de la pièce.

Mark Reaney expose sa démarche en ses termes: "la réalité virtuelle pouvait-elle aider à mettre en scène des textes comportant des problèmes difficiles ou inhabituelles de scénographie? Comment cette nouvelle méthode technologique de présentation pouvait-elle aider le public d'aujourd'hui à développer de nouveaux points de vue sur un texte dramatique?" Il est intéressant de noter que Wings était au départ une pièce radiophonique. Tant par sa forme que par son contenu elle est liée à la technologie de la radiodiffusion. Une écriture théâtrale peut-elle s'adapter d'une technologie à une autre, d'une technologie du son à une technologie de l'image?

The builders association prépare actuellement un nouveau spectacle intitulé Jetlag dans lequel le traitement technologique devrait 'être en prise directe sur les contenus développés. Ce spectacle juxtapose deux trajectoires individuelles. Celle de Sarah Krassnoff, une grand-mère américaine, qui va traverser 167 fois l'Atlantique en l'espace de six mois avec son petit-fils, pour échapper aux poursuites du père de l'enfant. Elle finit par mourir du jetlag, du décalage horaire. Pour Virilio, qui raconte cette histoire, cette héroïne de notre temps meurt en temps différé. L'autre histoire est celle du navigateur Donald Crowhurst qui part faire le tour du monde à la voile. Il prend un très mauvais départ et pour esquiver les perspectives de sa défaite, il navigue en cercle au large de l'Amérique du sud en envoyant de fausses données sur sa position et en écrivant un faux journal de bord. A la tête de la course, il finira pas se noyer, disparaissant ainsi dans un espace différé. Conjuguer au théâtre le temps différé, le temps dramatique et le temps réel de la représentation, est un défi dramaturgique et scénique, que seul peut 'être les nouvelles technologies permettent de traiter.

L'utilisation des nouvelles technologies vise souvent à explorer des états-limites. Dans OR, Dumb Type explore les frontières entre la vie et la mort. Le personnage principal de Wings, Mrs Stilson est victime d'une attaque cérébrale qui l'isole complètement du monde extérieur. La définition de la réalité devient l'enjeu dramatique même de la pièce. Global Mind, un collectif d'artistes canadiens, cherche à faire vivre aux spectateurs des expériences sensorielles en l'immergeant dans des mondes fictifs. Le premier projet In utero traite des perceptions d'un foetus jusqu'au moment de l'avortement, le second d'une rencontre avec des extraterrestres sur une autre planète. Coates a recours à la 3D pour nous faire entrer dans les visions mystiques de William Blake.

L'évolution dramaturgique qui devrait rencontrer les nouvelles technologies est sans doute celle qui remet en question le statut du texte au sein de la représentation et la linéarité de la narration. Il s'agit d'un théâtre post ou pré-dramatique qui ne s'appuie plus sur une continuité dialoguée mais sur une structure chorale basée sur la simultanéité et la dispersion des voix. Le centre de gravité du théâtre se déplace alors vers la communication directe avec le public.




Mise en scène


Le metteur en scène est un médiateur entre le texte et le public, entre le théâtre et le monde. Il lui appartient de définir une stratégie d'impact du théâtre dans le monde comme de révéler ce monde au théâtre. Il est enfin en charge du choix et de la coordination des moyens scéniques d'expression. Les metteurs en scène qui travaillent avec les nouvelles technologies revendiquent presque tous une approche interdisciplinaire du théâtre: "tout commence autour d'un texte. Mais je me sens revenir plus que jamais à cette idée du théâtre comme lieu de rencontre entre l'architecture, la musique, la dans, la littérature, l'acrobatie, le jeu", affirme ainsi Lepage. Avec The builders association et Global Mind, on a affaire à un collectif de chercheurs et d'artistes de différentes disciplines. Le metteur en scène ne se présente plus nécessairement comme le moteur d'une démarche artistique mais tend au contraire à se fondre dans le collectif. La démarche de Mark Reaney tend en revanche à marginaliser non seulement l'acteur, comme on l'a déjà vu, mais aussi le metteur en scène, puisque c'est le scénographe qui définit les procédures de communication entre la scène et le public.

"Les nouvelles technologies permettent d'unifier tous les arts dans une vision globale, dans un art total" revendique Global Mind, faisant du théâtre le lieu de rencontre entre tous les arts. La notion de théâtre comme synthèse des arts doit 'être maniée avec précaution. Le théâtre, s'il n'est que le réceptacle des manifestations des autres arts, peut perdre sa spécificité artistique . La collaboration avec les autres arts doit s'accorder aux exigences propres du théâtre, si l'utilisation des nouvelles technologies doit permettre de concrétiser le rêve d'un théâtre total. L'utilisation des nouvelles technologies revêt également une dimension politique. Le Critical Art Ensemble appelle ainsi à "un théâtre postmoderne de la résistance" . "L'efficacité de ce lieu de résistance est nécessairement liée à l'utilisation de scènes recombinatoires imbriquées les unes dans les autres et située entre la vie virtuelle et la vie quotidienne. Autrement dit, il faut que chacun affronte ses images électroniques et leur techno-matrice. Il est temps d'élaborer des stratégies qui portent atteinte à l'autorité virtuelle, parce que pour le moment, il n'y en a pas", avant de conclure, "le théâtre de la résistance est le théâtre électronique".

L'affirmation d'un théâtre politique passe désormais par l'utilisation critique des nouvelles technologies. Diller et Scofidio, qui collaborent régulièrement à des spectacles, revendiquent ce qu'ils appellent une "architecture de la résistance": "nous définissons notre stratégie comme architecture de la prise au piège, caractérisée par la dérobade. Nous observons de près les conventions spatiales qui sont typiquement occultées par les conventions familières, admises à l'intérieur de structures de pouvoir, de répartition des sexes, de classes - nous les isolons, nous en exposons les artifices et espérons ainsi ruiner leur autorité ". En revanche, la préoccupation de Mark Reaney est de s'adapter aux codes de perception du public qui évoluent avec MTV et Internet. On est dans une stratégie d'adaptation au public. Il s'agit non pas d'un théâtre d'avant-garde, mais d'un théâtre populaire fondé sur des procédures de communication renouvelées avec le public.




Scénographie


Parmi les praticiens du théâtre les scénographes sont les seuls à entretenir un rapport direct avec les nouveaux outils. Utilisant aujourd'hui à l'instar des architectes des logiciels 3D pour fabriquer des scénographies, ils sont les premiers à discerner les potentialités de ces outils qui permettent l'exploration de nouveaux territoires de la création. C'est le cas de Mark Reaney, qui utilise d'abord des logiciels dans l'optique de faire évoluer les procédures de fabrication des décors pour finalement considérer la réalité virtuelle comme un nouveau médium susceptible de transformer l'art théâtral. Les nouvelles technologies semblent inaugurer l'ère du scénographe-roi puisque celui-ci avec les nouveaux outils peut se placer au coeur du processus de répétition, redéfinir l'espace et le temps de la scène (plutôt que d'élaborer une scénographie sur une scène prédéterminée), et enfin déterminer les procédures de communication avec le public. Il est désormais au coeur de l'acte théâtral, et on serait tenté de dire qu'il est un metteur en scène doté de compétence scénographique.

Si les compétences exigées du metteur en scène vont devoir peut-être évoluer, on constate un retour en force des architectes dans la conception de scénographie. Il est évident, que le développement de la transarchitecture aura un impact sur le théâtre. Kiesler et Polieri apparaissent à nouveau comme deux figures incontournables du rapport théâtre/architecture. Kiesler considérait le théâtre comme le laboratoire d'essai pour tester des visions globales du monde. Le théâtre peut intervenir pour les architectes comme une maquette d'un monde à venir qui reste à construire, un double de l'architecture où la pratique serait reliée à la théorie.

Cette découpe à l'intérieur de l'épaisseur théâtrale met en évidence l'inadéquation d'une approche unilatérale du rapport théâtre/nouvelles technologies. Les problématiques et les enjeux sont divers et complexes et appellent autant de recherches à venir.