Interdisciplinarité des arts numériques — Théâtre et spectacle vivant, Recherche musicale, Littérature et génération de textes, Arts visuels
  Séminaire-Colloque du 13 novembre 1998


Théâtre et spectacle vivant : Franck BAUCHARD, Jean Marc MATOS | Recherche musicale: Jacopo BABONI SCHILINGI | Littérature et génération de textes: Jean CLÉMENT, Jean-Pierre BALPE | Arts visuels: Liliane TERRIER, Jean-Louis BOISSIER.


Liliane TERRIER
Maître de conférence en arts plastiques à
Paris 8, coresponsable du LABEI

Arts visuels:
Liliane TERRIER: Quand les cyberattitudes deviennent forme, l'art inframince de la conversation sur internet

"L'art de la conversation sur le net?"

Mon article dans le catalogue de la biennale Artifices 4 (1996), "L'art de la conversation sur le net?" s'achevait sur une conversation de type inframince: Le samedi après-midi, à Paris, rue des Écoles, la brasserie Balzar devient une sorte de cyber-café sur Intranet: l'acoustique est très bonne et la disposition rapprochée des tables idéale. Chaque phrase prononcée par un client à l'adresse de son interlocuteur de table part dans l'air et peut être entendue de manière parfaitement claire par les occupants des autres tables. D'autant que les habitués du Balzar parlent haut, fort et distinctement. On obtient donc une seule conversation générale, dont les phrases se succèdent dans leur ordre temporel d'énonciation. Avec quelques effets de collision ou plutôt d'infra-mince, quand des phrases sont émises en même temps. Un client silencieux et attentif, seul à sa table, peut écouter cette conversation globale, la comprendre, dans une situation assez proche de celle de la consultation des forums de discussion sur le net...


"Live in your head. Quand les attitudes deviennent forme. Oeuvres-concepts-processus-situations-information"

La phrase qui justifie cette communication du vendredi 13, "Quand les cyber-attitudes deviennent forme", est née du même type de collision-collusion inframince entre expressions: "Cyber-attitude" résumerait en deux mots une phrase de l'éditorial du numéro 1 de la revue Crash: "Crash est un magazine 100% transversal, construit sur des frontières en chantier. Ce nouveau support répond au besoin profond d'une approche globale, pariant à la fois sur la cyberculture, les nouvelles musiques, la rue, les attitudes. "Les contenus s'enchaînant par contamination", selon le même éditorial, l'expression "cyber-attitude" a aussitôt contaminé la phrase "Quand les attitudes deviennent forme", devenant "Quand les cyber-attitudes deviennent forme". Et ce simple ajout de "cyber" révélerait la qualité intrinsèque, (100% transversale etc.) d'une exposition vieille de trente ans, qui s'est tenue du 22 mars au 27 avril 1969 à la Kunsthalle de Berne) et dont le titre était le programme-même : "Live in your head. Quand les attitudes deviennent forme. Oeuvres-concepts-processus-situations-information" ?
Il reste de cette exposition un catalogue devenu un livre d'artiste. "Tout aboutit au livre", a dit quelqu'un.

Un montage financier américano-européen, permit la procédure de réalisation des oeuvres sur place, bloquée sur cinq jours, dans les salles mêmes du musée, transformé en chantier jusqu'à l'ouverture de l'exposition.
Un dialogue (conversation) entre art et capitalisme, s'engage. Le texte de John A. Murphy, président de Philip Morris Europe, figurant au catalogue, est le seul texte retenu à propos de cette exposition dans l'ouvrage de référence "Art en théorie 1900-1990", (une anthologie par Charles Harrison (artiste de Art & Language) et Paul Wood, Hazan, 1997).Tout se passe comme si art contemporain et capitalisme "s'épousaient par inframince" .

Extraits de la déclaration d'intention du sponsor: "Les oeuvres réunies pour cette exposition ont été groupées par plusieurs observateurs de l'art actuel sous la dénomination d''art nouveau'. Nous pensons, chez Philip Morris, qu'il est souhaitable que nous contribuions à attirer l'attention du public sur ces oeuvres, car nous décelons un élément clé dans cet 'art nouveau' qui a sa contrepartie dans le monde des affaires. Cet élément, c'est l'innovation, sans laquelle il serait impossible de progresser, quel que soit le domaine de l'activité humaine. De même que l'artiste s'applique à améliorer ses interprétations et ses conceptions, l'entité commerciale cherche, elle aussi, à améliorer ses services et ses produits, par l'expérimentation de nouvelles méthodes et de nouveaux matériaux. Notre constante recherche de voies nouvelles, pour agir et produire, s'apparente aux interrogations des artistes dont les oeuvres sont présentées ici... En tant qu'hommes d'affaires en accord avec notre temps, nous sommes amenés à soutenir "le nouveau" et "l'expérimental" dans tous les domaines..."

Harald Szeemann a décrit le montage financier et la procédure de réalisation en réseau des oeuvres [in Art press, hors-série n° 17, 1996, "66/96, Avant-gardes et fin de siècle", pp.100 à 108, "Harald Szeemann, Des expositions faites d'amour et d'obsession, interview par
Jean-Yves Jouannais"]: "Étant à Berne, je n'avais pas assez d'argent pour inviter des artistes américains. C'est grâce à une collaboration avec Pontus Hulten, qui était au Moderna Museet de Stockholm, avec De Wilde, au Stedelijk d'Amsterdam, mais aussi grâce à un sponsor qui prit en charge le transport des oeuvres des États-Unis en Europe, qu'il fut possible de montrer des artistes américains. Ce fut l'un des premiers exemples de sponsoring. Nous l'avions obtenu grâce à Christo. Cela m'a donné également la possibilité d'inviter des artistes à travailler sur place. Pour ceux qui venaient de Turin [arte povera], ce n'était pas trop cher, mais pour Serra, pour Sonnier, c'était une autre histoire. Le fait est que j'ai aidé Beeren, dont l'exposition Op Losse Schroeven, commençait une semaine avant, puisque les artistes, avec nos billets, sont d'abord allés chez lui, à Amsterdam. Une quarantaine d'artistes ont ainsi pu travailler sur place."


Éphéméride de l'exposition par Harald Szeemann [in "L'art de l'exposition. Une documentation sur trente expositions exemplaires du XXe siècle", éditions du regard, Paris 1998]:

16 mars. 11h. À la campagne avec la famille Heizer. Dernier jour de repos avant la tempête.
16 mars. 19h. Arrivée de Keith Sonnier.
17 mars. Préparation pour les oeuvres de Heizer :téléphoné au maire, aux jardiniers de la ville. Arrivée de Richard Serra, Phil Glass, Fiore. Ils installent les sculptures de plomb.
18 mars. Michael Heizer dirige la cellule de démolition pour "Berne Depression". Installation des oeuvres dans les salles. Serra projette ses 210 kg de plomb chaud pour son "Splash Piece". Richard Long part en randonnée dans l'Oberland bernois.
19 mars. Arrivée d'Anselmo, Merz, Zorio, von Sperone et Ricke. Le va-et-vient commence. La Kunsthalle devient un chantier de construction.
20 mars. Plus il arrive d'artistes et moins on fait de choses. La Kunsthalle devient un lieu de rencontre et de forum. Sargentini, Kounellis, Boeti arrivent, et Beuys, tard le soir, en dernier.
21 mars. Beuys trace l'angle de graisse; arrivée de Ruthenbeck, van Elk, Dibbets, Boezem, Flanagan, Louw, Buthe, Weiner, Kosuth, Artschgwager, Kuehn, Sarkis, Jacquet, Lohaus, [69 artistes venus des USA et d'Europe], puis Seth Siegelaub, Ileana et Michael Sonnabend, et c'est sans fin.
21 mars. 23 h. On débarrasse les salles. Nettoyage sous la direction de Mme Dibbets.
22 mars. Télévision, presse, vernissage le tumulte n'a pas de fin. Buren est arrêté pour collages d'affiches illégal.

[Il y a, réunis, 69 artistes venus des USA et d'Europe. Dans le sillage des artistes, le marché international de l'art, et les responsables des grands musées internationaux, les critiques d'art, les journalistes. "Tous ces personnes ont mangé à Berne, ils y ont dormi et dépensé leur argent lorsqu'ils ont pu le faire."]

Dans l'exposition qui révélait le chantier, "le concept même d'art objectal semblait formellement pulvérisé. Il perdurait cependant : "vu avec le recul, [dit Harald Szeemann en 1989] il s'en trouva restructuré par l'aspect processuel et conceptuel".

La visibilité de l'aspect processuel et conceptuel -ce qui était recherché- affleurant de manière variable, à la surface des oeuvres présentées, par remontée inframince, du plus vers le moins, pourrait-on dire, s'exprime dans le sous-titre : "Oeuvres-concepts-processus-situations-information", qu'on peut voir comme la liste des étapes de mise en place du dévoilement possible du processuel et du conceptuel de l'art.

Le terme d'expérience est exclu. L'artiste, démiurge, contrôle la mise en oeuvre qui doit demeurer perceptible dans le produit final. "Le médium avait perdu toute importance,alors que deux ans auparavant, le polyester et l'ordinateur, dit Szeemann, avait fasciné l'artiste progressiste". Ce qui est mis en évidence "c'est l'activité de l'homme, de l'artiste": "le degré élevé d'engagement personnel et affectif, la décision que les choses qui n'avaient pas jusque là été identifiées comme telles étaient de l'art; le déplacement du centre d'intérêt depuis le résultat vers le processus, l'utilisation de matériaux pauvres, l'interaction entre le travail et le matériau, la terre-mère comme matériau de travail et de chantier, le désert comme concept."

Les médias ordinaires (téléphone, fax, vidéo, photo, ordinateur) allant de soi pour une telle démonstration, sont donc utilisés mais au même rang que les autres matériaux. Il y a rassemblés là, l'earth art, l'arte povera, l'art conceptuel, l'anti-forme etc.. Paradoxalement, le "groupe des artistes de la terre" est représenté par de l'information envoyée par courrier, et évidemment, les artistes conceptuels par des injonctions de mise en oeuvre qui se passent de matériaux.

"Le souhait de Szeemann était aussi de faire éclater le triangle à l'intérieur duquel l'art se jouait : l'atelier, la galerie, le musée", à la surface du musée, entreprise qui devint "autopsie du musée", et qui aura pour effet, la dispersion vers les friches industrielles et autres sites désaffectés...

L'internet peut réactualiser ces attitudes. La technologie très complexe est invisible, il reste un dispositif pour établir des protocoles d'activités subjectives d'agencement ou de désordre, sur le désert de la surface synoptique des genres et des territoires qu'offre le Web.


Le concept d'inframince...

développé dans le livre, "Marcel Duchamp, Notes" , Paul Matisse et centre Georges Pompidou, Paris, 1980. Extrait de la préface aux 46 notes sur l'inframince, reproduites en fac-similé (ce sont des notes manuscrites, sur des bribes de papier (rabat d'enveloppe, papier à lettre d'hotel etc.) : "Marcel Duchamp devait y explorer le monde allusif et éphémère de la limite extrème des choses, ce seuil fragile et ultime qui sépare la réalité de sa totale disparition. La logique de l'inframince, comme cela apparaît, dans les notes prises à l'époque du "Grand Verre", laisse entrevoir la progression graduelle de Duchamp vers ce qu'il nommait la "co-intelligence des contraires". Ce concept peut définir la qualité conversationnelle de l'art des "attitudes", et s'appliquer plus platement à la qualité des pages html ou autres, (nouveaux fixés sous verre), à leur mode d'apparition, d'affleurement, d'empilement décalé, par excès de liens hypertexte, à l'effet 3D qui en résulte,et paradoxalement à l'espèce de difficulté synoptique pour la création et la consultation de l'hypertexte.

Cinq notes sur l'inframince :
15. Peinture sur verre / vue du côté non peint / donne un infra / mince
25. Le nacré, le moiré / l'irisé en général : / rapports avec / l'infra mince.
36. Les buées sur surfaces polies (verre / cuivre / infra mince on peut dessiner et peut être rebuer / à volonté un dessin qui apparaîtrait / à la vapeur d'eau (ou autre)
45. à fleur en essayant de mettre 1 surface plane / à fleur d'une autre surface plane / on passe par des moments infra minces
46.Inframince
Reflets / de la lumière sur diff. surfaces / plus ou moins polies. Reflets dépolis donnant un / effet de réflexion miroir en profondeur pourraient servir / d'illustration optique à l'idée / de l'infra mince comme / "conducteur" de la 2e à / la 3e dimension


L'art inframince de l'hypertexte:
Joseph Grigely, Serge Comte, Paul Devautour, Claude Closky, Christine Borland, Mathieu Laurette

Joseph Grigely
, avec Conversations with the Hearing donne la forme d'une installation, à cette nouvelle et difficile activité humaine qu'est la pratique éminemment conversationnelle de l'hypertexte. Chercheur universitaire en littérature, il a, depuis quelques années, fait de sa surdité (il est devenu sourd à 11 ans, en 1967) un outil de création artistique, par une simple opération de transfert de son handicap sur son interlocuteur, ce qu'il décrit ainsi:

"Une des choses amusantes lorsqu'on est sourd, c'est la façon dont on appréhende le monde et dont on place dans une perspective étrange les choses ordinaires que les gens considèrent comme acquises. Lire sur les lèvres par exemple. L'idée courante est que lorsque les gens parlent, les sourds sont censés 'lire' les mots sur leurs lèvres. Le problème est que tant de mots se ressemblent, tant de personnes parlent entre leurs dents et tant de personnes ne terminent jamais leurs phrases. Je passe beaucoup moins de temps à lire sur les lèvres ce que les gens disent réellement qu'à interpréter de travers ce qu'ils semblent dire. C'est tellement facile de tout prendre de travers. Généralement, je ne trouve pas ça trop grave, parfois je demande à mes interlocuteurs de mettre sur le papier ce qu'ils disent, parfois même je laisse tomber. C'est très simple de faire semblant. Quand des gens me posent des questions cependant, et qu'ils sont donc en droit d'attendre une réponse, dans ces cas-là je ne peux pas me dérober et je suis obligé de leur demander d'écrire ce qu'ils veulent sur le papier." Conversations sans titre (Questions), 1995.

C'est ainsi que l'interlocuteur de Joseph Grigely se trouve sommé de produire, de manière improvisée, dans le temps réel de la conversation, des signes autres que la parole ordinaire pour se faire "entendre". Cela donne une abondante production de petits bouts de papier recouverts d'écriture manuscrite, que Joseph Grigely archive. Ce sont des banalités ("quelle sorte d'art faites-vous?" demande un écrivain), des observations poétiques ("la parole est un souffle mis en forme"), des fragments de dialogue ("Je pense que les banlieues sont un peu érotiques. Sshh !!! Les gens écoutent").

Dans ses installations, Grigely recompose la conversation, en juxtaposant matériellement ces archives avec de petits paragraphes de commentaires personnels dactylographiés et encadrés. Ses story lines narratives, combinent des anecdotes autobiographiques et des réflexions philosophiques: " One day not too long ago, I found myself on the upper reaches of Madison Avenue in New York City. It was cold and slightly snowy afternoon in December at the beginning of the holiday season, and as I walked downtown … "

Ces installations reprennent des éléments de mobilier évoquant les lieux restreints où se sont déroulées les conversations. Pour la biennale Manifesta, à Rotterdam, en 1996, dans la villa Meerlicht investie par l'exposition, c'était la chambre même où s'étaient tenues les conversations dans un temps précédant la date d'ouverture de l'exposition. Cela ressemblait à un bureau très en désordre, avec des amas de bribes de papiers couverts d'écritures, arrangés dans des désordres savants, -à noter les jolis pastels des Post-its -, rassemblés sur les murs autour des petits textes dactylographiés mis sous cadres.

D'autres textes encadrés, posés sur la table, apparaissaient comme des presse-papiers retenant des notes manuscrites. Les story lines sont un manuscrit en devenir. Grigely travaille à une "narration constructive lâche à propos de la manière dont les conversations occupent un certain espace entre la parole et l'écrit, attentif aux caprices de l'écriture, quand la dyslexie ou l'illettrisme interfèrent". "Les installations de bureau en désordre sont la tentative la plus complète de rendre les complexités de la conversation humaine… Grigely crée de l'hypertexte, sans utiliser l'ordinateur mais avec des notes manuscrites, des textes imprimés dans de simples cadres noirs, quelques pièces de mobilier. Il est possible de passer d'un commentaire à une note manuscrite, d'une note à une autre.

Le rétinien reste en équilibre inframince instable avec l'intellect, la synesthésie "en prend un coup", car les rangées de feuilles de papier couvertes de textes sur les murs évoquent l'abstraction-grille de Mondrian. Les arrangements sur les tables font nature morte, évoquent Vermeer ou Chardin, ou des décors de films,(une certaine nappe à carreaux rouge et blanc évoque irrésistiblement le bistrot parisien de Ninotchka de Lubitsch). Grigely a besoin de tout cela, pour sa démonstration. Il acquiert même un certain talent de designer en donnant toute son attention artistique au domaine de la parole et de l'écrit.


Le symétrique nouveaux-médias de l'oeuvre de Grigely, ce serait le livre d'artiste de Serge Comte, (esthétique fin des années soixante aussi), qui est la reprise imprimée à partir de leurs fichiers informatiques de ses conversations on line (chat). Bien sûr, dérisoires à la lecture linéaire sur papier. Mais art élégamment dépressif, distancié, d'un artiste-démiurge, petit frère de Paul Devautour, qui avec son Sowana joue à la conversation "on line" de fiction.

On leur préférera Claude Closky, qui importe sur le net, avec la même distance élégante, le glamour et la sensibilité moirée des magazines de papier glacé, dans son éphéméride de pensées empruntées aux pages publicitaires. D'ailleurs, le médium du catalogue papier de sa dernière exposition est encore le beau magazine de papier glacé.

Même sophistication chez Christine Borland, hors nouveaux médias, qui met en oeuvre une procédure conversationnelle inframince, (à l'oeuvre sur internet), entre art contemporain et porcelaine18e siècle. Mouvement d'absorption d'une discipline arts appliqués dans un art de conception élitiste, et pas interdisciplinarité.

Christine Borland fait un art à grand thème : la mort, qu'elle traite avec des méthodes relevant de la criminologie et de l'archéologie. Ses installations rappellent le cadre muséal. Pour 5 sets Conversation Pieces, 1998 (porcelaine peintes sur étagères en verre), présentées à Manifesta 2, elle a fait réaliser des parties d'un modèle de démonstration anatomique (os du bassin, crâne de foetus, pénis) , en utilisant la porcelaine, matériau composé d'argile et de feldspath, auxquels sont ajoutés des des os réduits en cendres. Elle les a peints comme l'"English bone China" du XVIIIe siècle, que l'on voit dans les peintures de portraits de famille anglaise appelées "conversation piece" comme celles de William Hogarth , La famille Woolaston, 1730. La recette du Bone China n'a pas changée : 6 mesures de cendres d'os, 4 mesures de cendres de Cornouailles, 3 mesures et demie d'argile.

L'envers-repoussoir de cet art, version nouveaux médias, pourrait être l'art de Mathieu Laurette, qui s'approprie au pied de la lettre, le design graphique et la problématique du satisfait ou remboursé et l'importe sans nuance sur le net, pour le mettre en oeuvre littéralement. L'esthétique de la dérision, ici empruntée à Findus, est difficile à avaler, mais c'est ça qui en fait sa qualité.


La peinture expansive: Richard Wright , Jean-François Rey, Tobias Rehberger

Parler de l'art sur le net est véritablement un travail de Pénélope, que peu de critiques font. On dit souvent qu'internet est la rue, elle n'en a encore ni le vibe, ni le groove. On y trouve des choses intéressantes, des sites cartographiques, les sites technologiques du médium lui-même, une très grande bibliothèque de fragments de textes, des grands sites classiques muséaux comme celui du Moma, de Skulptur. Projekte in Münster, le Vidéomuséum. On appréciera les sites qui mixent texte, images, musique, shopping, et les sites spécifiquement graphiques comme Antirom qui propulse le design graphique d'interface, au rythme rapide des avancées technologiques du médium internet. Le design graphique d'interface et de page html relèverait de ce que Maria Lind, curatrice de Manifesta 2 nomme la peinture expansive: "Après la 'mort de la peinture', un nouveau modèle de peinture est apparu dans l'art contemporain... qui consiste à s'éloigner consciemment de la grande tradition picturale.

Richard Wright s'est servi de fins pinceaux et de couleur, pour exécuter sur les murs, à la manière des peintres en lettres, des éléments d'ornementation architecturale, de la typographie, des tatouages, éléments de culture collective, mixés à une symbolique subjective. Sol LeWitt pratique aussi ce type de peintures. Un "excédent d'esthétisme" fonctionne ici comme un adjuvant du coefficient d'art de l'oeuvre réalisée.

Jean-François Rey, l'auteur notament du site IAPIF, pratique ce graphisme ornemental et transgressif, qui réintroduit le dessin, la gravure mais à l'écran, modifiable en permanence. Un peu comme ces designers, qui font des meubles avec des matériaux dont ils contrôlent par avance les modifications, à l'air, à l'humidité ou à l'usure normale tout simplement ( par exemple les meubles de Jean Prouvé).

On retrouve la référence de Jean Prouvé à Manifesta 2, au travail de Tobias Rehberger, pour qui, dit Maria Lind, "l'interactivité, l'art au service des autres, est conjuguée, dans des formes des années soixante, soixante-dix. Il utilise plus de couleur, de forme, de design, pour plus de plaisir visuel. A Manifesta 2, en face de l'"Aquarium", la terrasse couverte du Casino Luxembourg, construite sur des plans de Jean Prouvé, Within view of seeing (perspectives and the Prouvé) transforme le trottoir, en parterre de fleurs dont le dessin se réfère aux dessins de poutre en acier de Prouvé. C'est un "lieu de calme" qui répond à la verrière de Prouvé. Il flirte ici avec le stylisme des jardins, qui fait semblant d'imiter la peinture, et l'architecture.

Le jeune artiste contemporain ou l'étudiant en art qui se lance dans les nouveaux médias, risquera d'y perdre provisoirement une contemporanéité dilettante de pure attitude. Il deviendra un travailleur du web, pris entre écriture, graphisme, interactivité, vidéo, cyberstudio, photoshop, shockwave... Mais il entrera dans ce joli mouvement spiralé de l'art contemporain, décrit plus haut, d'expansion des arts appliqués et technologiques, à la lumière du réverbère éteint du grand art. Dans le départemement d'arts plastiques de Paris 8, et chez ses voisins d'étages, on trouve de très bons enseignements théoriques et pratiques, tant en art contemporain qu'en multimédia, et des cyberespaces de travail qui sont aussi des espaces théoriques et d'exposition permanents: le site adoptif du IAPIF, le site pédagogique arpla...et d'autres en prévision.