MATTHIEU LAURETTE : « Bonjour, je m'appelle Matthieu Laurette, je suis artiste multimédia depuis mon apparition dans l'émission Tournez manège à TF1 le 16 mars 1993.»http://www.arpla.fr/odnm/?page_id=13722

mercredi 8 novembre 2006 — Conférence-projection




Newsletter n°2
novembre 2006



Observatoire des nouveaux médias : Cycle de conférences organisé par l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Atelier de recherches interactives) et l’Université Paris 8 (Programme de recherche Ciren et Master Art contemporain et nouveaux médias).


18 heures 30, Amphi Bachelier
Ensad 31 rue d’Ulm 75005 Pari
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Le Global Demix iHome Studio de Matthieu Laurette


















Documentation en PDF sur une sélection d'œuvres de Matthieu Laurette (1993-2003)
58 pages (bilingue Français/Anglais) sur http://www.laurette.net/products/index.htm



Extrait de la page 20 : The Freebie King, 2001, Figure en cire à taille réelle, chariot de supermarché rempli de produits remboursés. Pièce unique. 175cm x 177cm x 60cm. Collection particulière, New York.

Quoi pour qui, et comment ?

Extraits du texte de Jörg Heiser (catalogue Notre Histoire, Palais de Tokyo, Paris, 2006, pp. 134-141), écrivain et commissaire d’expositions, co-rédacteur en chef du magazine Frieze.

À une époque où l’art est devenu une industrie à grande échelle, la production artistique qui fraye avec la culture de masse suscite chez beaucoup une grimace de désapprobation — car l’imagination et la réflexion artistiques ne sont-elles pas l’un des derniers bastions susceptibles de nous protéger d’une culture commerciale médiocre, de nous protéger du spectacle ? L’ironie étant que c’est précisément ainsi que le spectacle, si toutefois l’on peut désigner par ce mot la culture commerciale en général, projette le rôle de l’artiste : dans une distance romantique vis-à-vis de toute intervention. De plus en plus, au cours de ces dix dernières années, les artistes contemporains insatisfaits par une telle position ont non seulement produit des représentations de la culture de masse, mais se sont immergés en elle, créant ainsi la possibilité de transformer un savoir (le savoir tiré de l’observation du fonctionnement du capitalisme) en quelque chose qui ne relève pas seulement du capitalisme. Le travail de Matthieu Laurette témoigne de cette idée essentielle.
 
Depuis 1993 — date à laquelle Laurette est apparu pour la première fois sur le plateau télévisé de Tournez Manège, et où, interrogé sur sa profession, il a répondu « artiste » —, il a continué à utiliser les médias comme un moyen artistique d’infiltration et de recirculation. Mais il ne s’agit pas seulement pour lui de mettre en scène des numéros médiatiques subversifs. Il éprouve, au contraire, la flexibilité de ce que l’art contemporain peut traiter en tant que pratique.

La circulation abstraite
« argent contre biens et biens contre argent », ou « argent contre argent », est nourrie par la perspective — évidemment — du profit. Matthieu Laurette a découvert une stratégie permettant, non seulement d’inverser le principe de valeur ajoutée, mais aussi de faire de ce renversement le thème d’un jeu télévisé convivial. Avec le budget de production de son projet à Consonni à Bilbao, Laurette a conçu un programme pour la télévision basque, El Gran Trueque (Le Grand Troc, 2000) : dans le cadre d’une vente aux enchères par téléphone, les téléspectateurs s’engagent à troquer un objet en échange d’une voiture offerte par Laurette — l’offre la plus haute est alors acceptée, et l’objet correspondant proposé la semaine suivante pour un nouvel échange, et ainsi de suite. Après quelques mois, la série de trocs s’achève sur la présentation d’un pack de six verres bleus. On commence ainsi avec une voiture d’un certain prix, et l’on finit avec un lot digne d’un vide-grenier.

La pièce de Laurette n'est pas sans évoquer Invitation Piece (1972-1973) : avec une simple insertion stucturelle — des cartons d'invitation qui renvoient de manière successive d'une galerie à l'autre, sans que rien d'autre ne soit exposé que le processus lui-même; le troc d'un objet contre un autre objet, dans l'intention manifeste de le
« perdre » et non de réaliser un bénéfice — la logique de circulation se trouve, dans les deux cas, faussée et inversée. Si Barry parodie la logique de valeur marchande propre à l'art en utilisant les modes de circulation typiques de l'art (cartons d'invitation), Laurette fait de même avec la logique générale de la valeur marchande vis-à-vis de produits de consommation (en utilisant les mass médias).

Autre exemple : Produits remboursés / Money-back Products (1993-2001) qui consistait à consommer et à se faire rembourser des denrées alimentaires sur lesquelles figurent des slogans tels que « satisfait ou remboursé », c’est-à-dire à se nourrir, littéralement, de ce procédé promotionnel qu’utilisent les sociétés pour faire connaître leur marque — et à nourrir l’intérêt des médias, qui baptisèrent Laurette « The Freebie King », le roi du gratuit.



Cette stratégie consistant à retourner contre elles-mêmes les lois économiques et politiques de circulation informe également le Citizenship Project (1997- en cours) de Laurette, dans le cadre duquel l’artiste enquête sur les conditions nécessaires à l’obtention légale d’un passeport dans divers pays à travers le monde, avant de mettre à disposition l’ensemble de ces informations sur un site web. Cette expérience est une manière d’éprouver les limites des fondements idéologiques des lois régissant l’accès à la citoyenneté. [page 28 in
www.laurette.net/products...]
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Pour The Louisiana Repo-Purchase (2003-2004), diffusé par une chaîne de télévision locale, des passants de la Nouvelle-Orléans se voient demander s’ils sont au courant de l’éventuelle révocation du traité de 1803 légalisant la vente de la Louisiane aux États-Unis par la France — canular qui, en pleine guerre d’Irak, n’a pas manqué de susciter des déclarations patriotiques anti-françaises.

Dans la même veine, Apparition : The Today Show, NBC, 31 December 2004 (2004) aborde sous un autre angle la critique des mass médias : parmi les pancartes affichant des messages d'amour, brandies par les spectateurs de cette émission en plein air (mi-information, mi-divertissement) tournée au Rockfeller Plaza à New York, on aperçoit un panneau déclarant « GUY DEBORD IS SO COOL ! » Ce message inepte joue ironiquement sur le fait que les positions rituelles de mise à distance du spectacle en référence à La Société du spectacle (1967) de Debord — risquent toujours de devenir une partition vide et usée de cela même qu'elles veulent critiquer.
[page 46 in
www.laurette.net/products...]

Comme dans Déjà Vu (2000-),
[page 43-35 in www.laurette.net/products...], ses rencontres de sosies de célébrités organisées à l’occasion de vernissages, Laurette n’est jamais dans la position d’un manipulateur qui tirerait les ficelles : il se mêle à ses sujets et se situe à leur niveau, comme pour se rappeler la question essentielle : quoi pour qui, et comment ?


 


Biographie

Matthieu Laurette, né en 1970, vit et travaille à Paris et à New York. Parmi ses expositions et projets récents, en 2006 : Let’s Make Lots of Money, Blow de la Barra, Londres; Notre Histoire, Palais de Tokyo, Paris; en 2005 : Day Labor, PS1/MoMA, New York; Populism, CAC, Vilnius, Lituanie; Kunstverein, Francfort; Stedelijk Museum, Amsterdam, Pays Bas; The Today Show, galerie Yvon Lambert, Paris; en 2004 : Biennale de Pontevedra, Pontevedra; Prix Ricard S.A. 2003, Centre Pompidou, Paris; en 2003 : Publicness, ICA, Londres; GNS, Palais de Tokyo, Paris; Propaganda, Espace Paul Ricard, Paris; en 2002 : Less Ordinary, Artsonje Center, Séoul; La vie au fond se rit du vrai, CAPC, Bordeaux; Art and Economy, Deichtorhallen, Hambourg; en 2001 : Form Follows Fiction, Castello di Rivoli, Turin; 49e Biennale de Venise; en 2000 : Voilà, Musée d’Art Moderne de la Ville, Paris; El Gran Trueque, Consonni, Bilbao; Plan B, De Appel, Amsterdam; Au delà du Spectacle, Centre Pompidou; en 1999 : Patchwork in Progress, Mamco, Genève; Crash !, ICA, Londres; en 1998 : Applaus, Casco Projects, Utrecht; Premisses, Guggenheim Museum Soho, New York.
Il a reçu en 2003 le Prix Ricard du jeune artiste (moins de 40 ans) le plus représentatif de la scène française.

Ses œuvres sont présentes dans de nombreuses collections publiques et privées : Belgique, France, Pays Bas, Suisse, Royaume Uni, États-Unis; y compris : Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris; Fonds national d’art contemporain, Paris; FRAC Aquitaine, Bordeaux; FRAC Languedoc-Roussillon, Montpellier; Ricard S.A., Marseille/Paris; Speyer Family Collection, New York; William Grant and Sons Ltd, Dufftown.

Il a été professeur invité dans des écoles d’art et universités : San Francisco Art Institute; Staedelschule, Francfort; ECAL, Lausanne; ENSBA, Paris; Universitat Internacional de Catalunya, Barcelone; Edinburgh College of Art; ESAV, Genève. Il a donné des conférences et séminaires : Tate Modern, Londres; the Bronx Museum, New York; Musée du Québec; Musée national d’art moderne-Centre Pompidou Paris; Kunst Werke, Berlin; Musée d’art contemporain, Lyon; Kiasma, Helsinki. 







Les conférences Observatoire des nouveaux médias ont lieu tous les 15 jours, Amphi Bachelier, Ensad, 31 rue d’Ulm, Paris 5e.
Prochaines conférences : mercredi 22 novembre (Jean-Michel Spiner), mercredi 6 décembre (Marie-Laure Cazin), mercredi 20 décembre (Fabien Giraud)
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Pour recevoir la newsletter, envoyez votre adresse à ciren@ciren.org

Conseil de l’ODNM : Jean-Louis Boissier (Paris 8/Ensad), Samuel Bianchini (Université de Valenciennes), Martine Bour (Ciren/Citu/Paris 8), Jean-François Depelsenaire (Ensad), Pierre Hénon (Ensad), Liliane Terrier (Paris 8), Nicolas Thély (Paris 1), Gwenola Wagon (Paris 8)

Renseignements
http://www.ciren.org
http://www.ensad.fr
http://www.perso.ensad.fr/ari
http://www.arpla.univ-paris8.fr/~canal10


L’Atelier de recherches interactives (Ari) est un post-diplôme de l’École nationale supérieure des arts décoratifs. http://www.ensad.fr, http://www.perso.ensad.fr/ari

Le Centre interdisciplinaire de recherche sur l’esthétique du numérique (Ciren) est un programme de recherche de l’Université Paris 8 rattaché à l’équipe d’accueil  Arts des images et art contemporain, bénéficiant du soutien du Ministère de la culture (Mission recherche et technologie) et du Conseil régional d’Ile de France. http://www.ciren.org/

Art contemporain et nouveaux médias est un master de recherche de la discipline Arts plastiques de l’Université Paris 8. Les conférences Observatoire des nouveaux médias participent au cycle Moments d’art contemporain de ce master. http://www.arpla.univ-paris8.fr/~canal10