Écritures Internet
  Séminaire du 18 juin 1999

Intervenants : Jordan CRANDALL et Maurice REGNAULT


Jordan CRANDALL, Artiste, théoricien des médias, fondateur et directeur de la X-Art Foundation, New York.



Le site de Blast

Le site de Jordan Crandall


Le projet Blast


Nous avons énormément de pages de nos jours. Ce sont par exemple des pages magazines et des pages Internet du réseau. En général, partout où vous trouvez une page il y a de l'édition. Structurellement nous pouvons dire qu'une page est toujours une partie d'un système publicationnel plus large et que ce système publicationnel est toujours constitué de pages individuelles.

La reliure marque l'unité de ces choses-là. La reliure cependant était toujours là. Ce n'est pas seulement la colle qui connecte les pages entre elles, mais aussi la structure organisationnelle qui soutient le processus de la structuralisation et de la systématisation. Mais la publication et la reliure ne sont pas toujours visibles. Il apparaît qu'il pourrait y avoir des pages sans publication. La plupart des pages sur le réseau ne font pas partie d'un magazine on-line. Blast essaye de refléter les changements dans la pratique de lire, de voir et dans le fait d'être un auteur –à la fois au niveau des contenus et de la structure.

Le projet mène à une redéfinition de la notion de la publication. Il cherche une entité qui remplacerait la forme de la publication elle-même en tant qu'elle est retravaillée par les nouvelles technologies. Cette entité ne se résout pas à des notions telles que on-line ou off-line, analogique ou numérique, physique ou virtuel, à ce type de distinctions, mais elle serait un hybride.

L'objectif de Blast est de provoquer des nouvelles formations en tant que formes éditoriales.

Il pose la question de ce qui arrive à la surface hôte, c'est-à-dire la page et à l'entité plus large, la publication d'où cette chose est issue. Et il applique ces questions aux pages du web.

Et que peut-on dire de la page elle-même? Qu'est-elle devenue? Quand nous parlons des pages du réseau nous utilisons un vocabulaire de transport. Nous parlons d'aller quelque part, nous disons "Je suis allé voir ce site web". Les pages web et leur appareillage ne se contentent pas de transporter, ils saisissent le corps, affectant d'une manière vive, plus affective que l'imagination ne pouvait le faire –l'imagination comme forme de transport plus ancienne reliée aux médias imprimés.

Mais même avec les pages des médias plus traditionnels, imprimés, on était transporté.
Même là, "lire une histoire intéressante, captivante, est une manière de l'habiter, d'en obtenir un goût, une sensation de spectacle et un sentiment concernant les personnes. Le travail éditorial est la façon de mettre les éléments isolés ensemble; le travail éditorial nous transporte, nous envoie ailleurs, même si cela ne déplace pas littéralement notre corps.

La page web cependant peut nous offrir une illusion beaucoup plus puissante du fait de nous transporter et particulièrement quand cela devient de plus en plus immergent. De ce point de vue-là on peut voir les pages en termes de technique du corps. C'est une manière de positionner un corps qui est désormais libéré de ses chaînes, de ses liens d'un cadre stable et un corps qui est donc lancé en circulation, tout en conservant à l'intérieur des nouveaux comportements et des nouveaux cadres de comportement. Ces comportements ensuite rebondissent en arrière et déterminent la structure et le contenu des pages.



Espace de transactions


En 1990 la X-Art Foundation a fondé Blast comme un projet de collaborations en perpétuelle évolution. Il devait examiner ses propres cycles de production et de consommation ainsi que les systèmes sociaux et économiques qui lui donnaient de la valeur. Au lieu d'imposer par avance une forme et un contenu, la X-Art Foundation a structuré Blast comme un système transactionnel au sein duquel il est possible de réaliser ces divers aspects.

Puisque les travaux résultants sont des œuvres collectives, ils rompent avec les distinctions traditionnelles des rôles et examinent la nature des relations alternatives ainsi créées. En cela,
Blast développe des nouveaux champs discursifs et des discours pratiques et théoriques.

Avec cette spécificité de se placer vraiment en situation,
Blast peut prendre la forme d'un magazine, d'un livre d'artiste, d'un projet scientifique ou d'un espace mouvant d'expositions, ainsi que d'une oeuvre d'art dépendante des intentions des participants et de l'endroit de sa réception.

C'est le processus de l'exploration effectuée par l'utilisateur qui transforme constamment le projet jusqu'à devenir son contenu. Le lecteur devient ainsi co-auteur.

Une des particularités de ce projet tient au fait que le lecteur ne se trouve pas face à des chemins préétablis. Il commence directement au milieu d'un espace constitué de sphères de différentes tailles menant à différents travaux. Aucun des éléments n'est signé par son auteur ou identifié par un titre. La découverte d'un élément est plus importante que son identification immédiate par une "étiquette".

Pour
Jonathan Crandall, la structure de Blast ne correspond pas aux notions d'auteur et de lecteur, mais à un jeu évolutif entre expéditeur, destinataire et contexte.

L'auteur n'est plus au centre, et le travail est un espace de trans-action: des champs de possibles dans lesquels l'art se crée:

"Zones de transmission, matrices de circulation et formes fantastiques de relations entre les choses:
Blast.

Le lecteur/spectateur est à la fois à l'intérieur et à l'extérieur, serviteur et maître, immergé à l'intérieur d'un réseau complexe d'activités qui initie et rend compte de l'hybridation du corps, de l'espace et de la vision par-delà les limites de l'écran. Cette présentation rend nécessaire une compréhension des procédures contemporaines, grâce auxquelles se déterminent ces pratiques et procédures."



De nouveaux champs discursifs


Le projet Blast avait pour but d'examiner ses propres cycles de production, de distribution et de consommation ainsi que les systèmes sociaux et économiques qui lui donnaient de la valeur. Depuis ses débuts en 1990, Blast a entrepris d'explorer les formations textuelles et visuelles contemporaines ainsi que les pratiques de lecture, d'observation (du regard) et de production (de l'auteur) qui les accompagnent. Au lieu d'imposer par avance une forme et un contenu, la X-Art Foundation a structuré Blastcomme un système transactionnel au sein duquel il est possible de réaliser ces divers aspects.

Puisque les travaux qui en résultent sont des oeuvres collectives, ils rompent avec les distinctions traditionnelles des rôles et examinent la nature des relations alternatives ainsi créées. En cela, Blast développe de nouveaux champs discursifs et des discours qui peuvent être aussi bien pratiques que théoriques. Avec cette spécificité de se placer vraiment en situation, Blastpeut prendre la forme d'un magazine, d'un livre d'artiste, d'un projet scientifique ou d'un espace mouvant d'exposition, ainsi que d'une oeuvre d'art dépendant des intentions des participants et de l'endroit de sa réception.

Dans le site Internet
Blast, c'est le processus de l'exploration effectuée par l'utilisateur qui transforme constamment le projet jusqu'à devenir son contenu. Le lecteur devient ainsi coauteur. Ce travail n'est plus le résultat de l'intention d'un auteur, mais un produit collectif, ou aussi un système consistant en des travaux collectifs. Une des particularités de ce projet vient du fait que le lecteur ne se trouve pas face à des chemins préétablis. Il commence directement au milieu d'un espace constitué de sphères de différentes tailles menant à différents travaux qui peuvent être aussi bien des textes, du courrier, des photos d'expositions dans l'espace réel, des critiques, des liens, etc. Souvent ces éléments ne sont pas signés par leurs auteurs. Ils ne sont pas non plus identifiés par un titre. Tous ces éléments sont mis à un même niveau et il n'y a pas de classement préétabli. La découverte d'un élément est plus importante que son identification immédiate par une "étiquette".

Pour Jordan Crandall, la structure de Blast ne correspond pas aux notions d'auteur et de lecteur, mais à un jeu évolutif entre expéditeur, destinataire et contexte. L'auteur n'est plus au centre, et le projet évolue dans un "espace de transactions". Ce sont des champs de possibles dans lesquels l'art se crée.





maurice regnaut
Maurice REGNAUT, Enseignant de littérature générale et comparée, écrivain et traducteur

 

http://www.maurice-regnaut.com ecrire@maurice-regnaut.com


De l'écrit à l'écran

Ce que peut être, et ce qu'en l'occurence a été l'adaptation d'une oeuvre littéraire au média qu'est le web, ce qu'on appellera aussi plus cursivement le passage de l'écrit à lécran, quelques exemples en seront présentés ici selon plusieurs degrés à partir de textes donc préalablement établis.


Adaptation qui n'est que l'inscription du texte ou, dira-t-on, son passage en ligne (essais et traductions).


Adaptation qui inscrit le texte comme aléatoire, aussi bien dans son ordre d'inscription (ternaire initial : à chaque nouveau chargement de la page, un ternaire différent s'affiche) que dans son texte même alors réécrit (à partir des ternaires de l'auteur, générateur de ternaires de Jean-Pierre Balpe).


Adaptation qui inscrit le texte à l'intérieur d'une composition comprenant un autre élément, cet élément étant soit une image (dessins de Cueco dans
Charade Evénementaire, ou cartes postales dans A ma Poune), soit une musique (ti : Treizième Nocturne de Chopin).

Ces derniers exemples du troisième degré entraînent l'introduction d'une notion particulière qu'on appellera activation. L'inscription n'est plus là en effet simple adaptation, elle est mise en acte multimédia créateur d'un ensemble nouveau. On distinguera, pour plus de clarté, deux sortes d'activation : l'une qu'on dira activation externe et l'autre activation interne. L'activation externe serait obtenue par introduction de l'extérieur, de ce que peut produire autrement dit un moyen autre que l'écrit, moyen alors appliqué arbitrairement à cet écrit. L'activation interne est obtenue par l'introduction d'un élément que nécessite uniquement l'écrit en question, élément généré par un moyen autre que l'écrit, mais qui ne produit rien d'autre que ce que l'écrit en lui-même et lui seul implique en toute logique interne. On reprendra donc à présent l'exemple de ti.

ti : le thème en est celui de la "beauté fatale", ici fatale à la beauté elle-même. On y assiste à la mort, au suicide en fait programmé d'une jeune fille qui avait un "don" incontestable de musicienne et qui était aussi d'une exceptionnelle beauté. Cette beauté va faire d'elle une proie sexuelle, consentante, dont la désespérance bientôt ne va trouver d'autre issue que la mort que lui apportera l'homme enfin qui l'a vraiment aimée. On assiste donc à cette condamnation, à cet impossible destin, présence à la fois d'une parole écrite sur l'écran, parole de celle qui se remémore brièvement son histoire, et d'une musique, celle du Treizième Nocturne de Chopin, qu'elle joue et qui témoigne de cet autre destin qui aurait pu être le sien si elle n'avait été aussi belle - une séparation radicale, mais absolument pas arbitraire, étant faite entre le lu et l'entendu, entre le texte sur l'écran et l'écran noir sur lequel le piano joue


Un exemple plus pertinent encore est celui de
Recuiam. Cet ouvrage poétique est organisé selon un dispositif rigoureux. Il s'agit d'un ensemble de textes retenu et trié pendant plus de trente ans et composant finalement une sorte d'anthologie autobiographique lacunaire disposé ainsi : retour du présent vers l'origine, de la partie 8 à la partie 1, puis rebours de l'origine vers le présent, de la partie 1 à la partie 8, l'origine étant figurée au centre du livre sous la forme de trois poèmes qui disent l'accouplement, la "scène primitive", comme voyage cosmique hors espace et temps. Les deux volets, donc, de 8 à 1 et de 1 à 8, se correspondent, partie à partie, texte à texte. Or, le livre en tant que tel, en tant qu'imprimé, s'il peut être lu de façon traditionnelle, il n'en reste pas moins que sa vraie lecture est une lecture pour laquelle sont présents ensemble deux textes à chaque fois, deux moments du dispositif en deux volets. Et cette vraie lecture, simplement jusqu'alors souhaitée par l'auteur, va être tout naturellement, on dira miraculeusement, permise par le moyen de la navigation hypertextuelle et elle seule. L'activation interne a ici son plein sens, son sens absolu : sur l'écran apparaissent ensemble et sont donc ensemble à lire, à chaque fois, et le texte du premier volet et le texte correspondant du deuxième. Ainsi donc ce qu'on a appelé activation interne n'est alors rien d'autre en effet que la réalisation de l'oeuvre elle-même, une réalisation qui n'était possible que par des moyens nouveaux. Tout se passe ici, au fond, comme si c'était l'écran qui était premier, comme si le dispositif qu'est le livre avait été totalement conçu et rigoureusement organisé à partir de l'écran et non pas de l'écrit, à partir d'un moyen qui n'existait pas encore alors, mais qui commandait logiquement au livre entier sa structure et sa fonction, bref, comme si le sens allait donc non plus de l'écrit à l'écran, mais de l'écran à l'écrit..


Activation qui peut devenir interactivité, l'exemple en est celui de
Merde et sang. L'oeuvre ici, une pièce de théâtre, présente la parole d'un messager qui s'adresse à un choeur, lequel choeur est constitué par le lecteur non plus de l'écrit mais de l'écran, lecteur qui pourra intervenir, réagir et dire son propos (par le biais d'un formulaire) qui rejoindra d'autres propos semblables à l'intérieur du Livre du choeur. L'intérêt de cet exemple réside en ceci que le théâtre est alors possible indépendamment de la scène théâtrale elle-même, en ceci que l'écran est alors une sorte d'autre scène ou tout de la pièce en question, messager et choeur, peut se jouer et se jouer comme il doit l'être. Ainsi l'écran devient un véritable nouveau théâtre.

Comment conclure ? Il est évident que tout n'en est là qu'à son commencement.