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Hendrik Sturm : Entretien avec Andrea Urlberger

6 avril 2007, Saint Mandé, Paris

 

Hendrik Sturm
Originaire de Düsseldorf, il a étudié la neurobiologie (thèse) et les arts plastiques. Il enseigne à l’École des Beaux-Arts de Toulon la sculpture et la culture générale (approche scientifique).

Suzanne Hetzel
Née en 1961 à Siegen, Allemagne. Elle vit et travaille à Marseille.
Suzanne Hetzel, photographe

Retranscription de l’entretien autour du projet (de recherche)
Marcher: connaître un espace périurbain


Définition du projet:
La marche comme ressource cognitive et expressive. Un travail pluridisciplinaire
 

Cheminement personnel


Avant d’avoir entrepris des études en biologie, il a étudié à la Kunstakademie de Düsseldorf, notamment dans les ateliers de Jan Dibbets et Tony Cragg. Aujourd’hui, il enseigne à l’école des Beaux-Arts à Toulon. Contrairement à un nombre important d’artistes ou de scientifiques qui procèdent à des échanges entre des domaines scientifiques et artistiques, Hendrik Sturm n’a pas une seule formation et ne s’intéresse pas en tant «qu’amateur» à la science ou vise-versa. Ses parcours le placent comme professionnel à la fois dans le domaine scientifique comme dans le domaine artistique.

Comment articule-t-il ces deux sphères, les sciences fondamentales et sa pratique artistique?
Souvent, les relations entre sciences et l’art s’appuient sur l’utilisation d’approches scientifiques comme une technologie qui sert à produire des propositions artistiques. Hendrik Sturm n’est pas intéressé par cette forme d’articulation, mais il souligne que les liens entre le domaine scientifique et le domaine artistique ne se situe pour lui pas au niveau du contenu, mais au niveau de la méthodologie.

Ainsi, il constate que son travail scientifique en neurologie l’a familiarisé avec la difficulté de récolter des données, de les interpréter, d’en trier les données exploitables et de prendre en compte la pollution de ces données par d’autres informations. S’appuyant partiellement sur une posture scientifique, il réfléchit dans son travail artistique essentiellement sur l’organisation des modèles pour décrire le monde. Ces modèles scientifiques s’appuient, comme les productions artistiques, partiellement sur des métaphores.

 


Références


Ses références à la fois artistiques et théoriques se situent essentiellement dans les «sciences de la promenade» ou l’hodologie. Le livre de Thierry Davila, Marcher, créer ou les Walkscapes de Francesco Careri, constituent des références théoriques.


Il s’appuie également sur le travail de Lucius Burckhardt, un économiste et sociologue suisse qui a développé une «science de la promenadologie», mêlant l’architecture et planification urbaine à la mobilité, notamment la marche à pied. Il a enseigné cette approche particulière à l’université de Kassel dans le domaine de l’architecture, urbanisme et paysage. Dans ce contexte, la promenade est surtout considérée comme une expérimentation qui crée des articulations entre le design et l’urbanisme, créant une sorte de design «au-delà».

Une autre référence théorique d’Hendrik Sturm est Kurt Levin, théoricien du paysage, hodologue, arpenteur, à la recherche d’une esthétique de l’enquête.


La marche

En ce qui concerne son activité artistique, Hendrik Sturm travaille sur le déplacement, notamment les promenades. Il retrouve certains concepts scientifiques, de la récolte et l’organisation des données selon des modèles. Il considère ces promenades comme des coupes spatiales. La marche (et non le déplacement) est essentielle pour Hendrik Sturm, car elle s’oppose à la glisse. La marche est pour Hendrik Sturm d’abord un jeu avec la gravité qui autorise, plus que d’autres moyens de déplacement plus rapides, la lenteur, le frottement et la gravité. Le déplacement par la glisse lui fait peur et il tente d’éviter la vitesse.


Processus de travail 

Le cheminement de la promenade est parfois en partie déterminé en amont (point de départ, point d’arrivée), puis détaillé lors du parcours. Hendrik Sturm identifie plusieurs mouvements lors de ces marches: —des mouvements de translation, de transect ou de traversé; —des mouvements de rotation, de panorama; puis un mélange ou une combinaison entre ces deux mouvements, l’ «entre-là». Il considère ses «marches» comme des œuvres in situ et les lieux d’investissement comme des espaces «concrets».


Le GPS


Le rôle du GPS est l’enregistrement d’un parcours, mais il ne s’agit pas de thématiser une technologie particulière. Cependant, des aspects particuliers du GPS sont  utilisés comme l’automatisme de la localisation. Si jusqu’à maintenant, Hendrik Sturm a utilisé essentiellement les coordonnées x, y et t, il commence à intégrer dans ses représentations également la coordonnée z, c’est-à-dire non seulement une représentation cartographique incluant la donnée temporelle, mais également une représentation en 3 D.

Pour Hendrik Sturm, le GPS permet une représentation d’un espace temps et d’établir des profils de mobilités à partir de certains critères comme la vitesse, la rotation, le panoramique. Ces profils de mobilité peuvent aboutir à une analyse spatiale. Par exemple, on peut aborder l’espace à partir des questions de «visibilité» et «d’invisibilité». Dans ce sens, il constate que les frontières politiques correspondent souvent aux endroits avec une grande visibilité, un horizon plus dégagé (horizon du clocher de l’église). Le GPS travaille ces questions du visible et de l’invisible aussi à travers l’observation et la surveillance.

DAVILA Thierry, Marcher, Créer, Déplacements, rêveries, dérives dans l’art de la fin du 20e
siècle,
Regard, Paris, 20002


CARERI Francesco, Land&ScapesSeries, Walkscapes, Walking as an aesthetic practice, Gustavo Gili, Barcelone, 2004

BURCKHARDT Lucius, entretien Université Paris 12, Val de Marne, avril 1998


Le projet de recherche —Marcher: connaître un espace périurbain

Il s’agit d’une coupe à travers un espace périurbain, un portrait d’une commune à partir de 4 entrées, réalisés par les 4 membres de l’équipe qui correspondent à différentes couches de représentation. Dans ce contexte, Hendrik Strum organise trois ou quatre promenades publiques.
À partir de ce trajet, une photographe, Susanne Hetzel, procède à des prises de vue qui se situent à l’intersection entre espace public et espace privé. Suite à une négociation avec les habitants, des éléments de leur vie privée sont photographiés et ainsi transférés vers la sphère publique. À partir du trajet GPS, ce travail photographique fonctionne comme des «coupes latérales» dans le tissu de la commune.

René Borruey est architecte, historien qui travaille sur une typomorphologie de l’espace en liant le «paysage» politique, c’est-à-dire les dynamismes politiques, à son évolution historique. Ces différentes approches lui permettent de produire une sorte de monographie communale. Celle-ci prend forme à travers une cartographie, une organisation à la fois qualitative et visuelle des données recueillies.

Stephan Asmus travaille sur les sciences politiques et de communication. Il s’appuie sur les travaux et notamment l’archive de Niklas Luhman et de Bazon Brocks, théoricien allemand des espaces de savoir.

Ces quatre membres de l’équipe produisent chacun une «couche» bien distincte de représentation, la photographie, le texte du paysage politique et les tracés des promenades. Le GPS est considéré comme une SIG qui permet d’enregistrer un déplacement. Celui-ci sert de base pour les autres investissements spatiaux.

Comment Hendrik Sturm utilise-t-il le récepteur GPS concrètement ?

Lors de la marche, le récepteur GPS qui reste donc dans la poche d’Hendrik Sturm, sert uniquement à enregistrer les déplacements et non à naviguer, à s’orienter, bref à se géolocaliser. À la fin de la promenade, les données enregistrées par le récepteur sont transférées sur l’ordinateur puis un dessin du parcours en émerge. Celui-ci affiche la distance, le temps de parcours, le pourcentage de la mobilité et le pourcentage de l’immobilité ainsi que l’altitude.


Le portrait d’un espace périurbain


La multiplication de systèmes de saisie et de représentation permettent une production de savoirs par facettes ou par couches qui sont proposés côte à côte. Quels savoirs produit cette immersion spatiale dans un lieu concret?  La question est comment généraliser des données qui sont au départ ancrées dans un contexte tout à fait spécifique? Henrik Sturm se demande ce qu’on peut déduire d’une expérience tout à fait particulière. Quelles formes de représentation peuvent en émerger et comment rendre ces formes de représentation accessible et opérationnelles?