Hommage à Nam June Paik 1932 — 2006

Artiste, né à Séoul le 20 juillet 1932, mort à Miami le 29 janvier 2006

 



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Biennale de Kwangju (Corée), 17 septembre 1995. Entretien avec Nam June Paik, 17 septembre 1995. Vidéo ©JLB
« In my case, it’s a total length macro form and micro form. This time length, time span, is for me very important. In cinema, you go, you generally see from the beginning, and you stay until the end. It’s like one big crescendo decrescendo, a surprise and ending. It’s like a Greek tragedy and human beings’ time-based satisfaction has remained unchanged for over 4000 years, maybe it’s unchangeable. It’s maybe based on sexual forms of satisfaction. That is cinema... I am a very impatient guy. What I find interesting is 3 minutes of micro time which can be repeated either in video or installation form or a 30 minutes television show. »






Biennale de Venise, 1993, pavillon allemand : Hans Haake, Nam June Paik.
Vidéo ©JLB


Extraits de : Jean-Louis Boissier « Flux et répétition, La notion de moment interactif rapportée à Nam June Paik », intervention au symposium Nam June Paik, Université Yonsei, Séoul, mars 2002.

Le 17 septembre 1995, à la Biennale de Kwangju, Nam June Paik répondait à l’une de mes questions sur le cinéma destinée au CD-Rom que nous préparions pour la Biennale de Lyon (1) :

« In my case, it’s a total length macro form and micro form. This time length, time span, is for me very important. In cinema, you go, you generally see from the beginning, and you stay until the end. It’s like one big crescendo decrescendo, a surprise and ending. It’s like a Greek tragedy and human beings’ time-based satisfaction has remained unchanged for over 4000 years, maybe it’s unchangeable. It’s maybe based on sexual forms of satisfaction. That is cinema. I am a very impatient guy. What I find interesting is 3 minutes of micro time which can be repeated either in video or installation form or a 30 minutes television show. »

Cette observation indique tout un programme concernant l’image en mouvement et sa temporalité. Elle touche également au dispositif relationnel de l’oeuvre. Toutes ces questions sont absolument centrales dans le travail de Paik, dans la « leçon » de Paik. J’y trouve notamment pour ma part confirmation de l’alliance singulière que les nouveaux médias (vidéo, informatique, virtuel) instaurent entre le régime du spectacle et le régime de la lecture pour fonder une nouvelle relation à l’image, une nouvelle perspective, une nouvelle modalité de l’art.

On repère chez Nam June Paik quatre temporalités possibles pour l’image :

1. La vidéo directe, en circuit fermé, insiste sur la permanence des choses et exalte la simultanéité avec le regardeur. C'est ce dispositif qui est à l'oeuvre dans des pièces aussi célèbres que : TV Buddha, 1974, TV Rodin, 1975, ou Three Eggs, 1981. RealFish/Live/Fish, 1982, One Candle, 1988. Nombre de pièces rendent palpable le temps dans sa forme répétitive : Swiss Clock, 1988, Fucking Clock, 1989.

2. L’image peut être formée et déformée en direct, y compris par le public, introduisant l’image à une dimension à la fois sculpturale et interactive, ici encore dans l'idée d'un présent perpétué : Zen for TV, 1963, TV Clock, 1963, Moon is the oldest TV, 1965, et la pièce fondatrice en matière d'interactivité dédiée au public : Magnet TV, 1965. C'est au demeurant dans une tentative de restitution du fonctionnement de cette pièce que j'ai mis au point un type d'image interactive, faisant appel à la mise en boucle et au geste par procuration, pour le CD-Rom de la Biennale de Lyon en 1995.

3. La production sur ce mode de la synthèse peut également donner lieu à un enregistrement et donc signifier explicitement un travail, un artifice.

4. Enfin, les images résultant d’une prise de vue, même si elles sont largement retravaillées, pointent à la fois le présent de leur exécution et le passé de leur origine.

Ces différences renforcent cependant une recherche constante d’une temporalité qui, tout en exaltant la perception d’un flux énergétique, visuel et sonore, ne conduirait à aucune fin, resterait magiquement en suspens.

Chez Nam June Paik, la question du temps est constitutive d’un espace. J’insiste pour ma part sur ce qu’on pourrait nommer chez lui « éloge de la planéité ». La profondeur y est assumée par le temps, la répétition, la pulsation, l’oscillation, la vibration et toutes les formes de variabilité. On se référera à Gilles Deleuze pour qui on doit faire émerger la différence à la répétition, la répétition étant la condition de l’exercice de l’imagination.

Chez Nam June Paik, l’autonomie de l’image, son caractère d’automate, sont les conditions de l’interaction, de la prise de distance et de la mise en perspective, une perspective non pas optique mais dans le registre du temps, des relations et des interactions. Je parlerai à ce propos d’image-relation en proposant la notion de perspective relationnelle ou de perspective interactive. C’est ici que se rattache la notion de moment interactif qui résulte de mes propres expériences. Dans ce que je nomme le moment interactif, dans l’espace virtuel de la jouabilité que figure la perspective interactive, s’actualise une autre perspective qui n'a rien à voir avec la profondeur mais qui se situe au contraire, comme chez Nam June Paik, dans une planéité revendiquée, une perspective au sens de ce qui est en projet et qui éventuellement advient.[...]

Dans un entretien au journal français Libération, publié le 30 août 1995, Nam June Paik déclare « rattacher l’image à cette voie de l’inconscient définie par Freud, Joyce, Proust, à savoir la libre association d’idées. » Pour lui, « la vidéo, c’est le rêve : les deux présentent la même structure temporelle. L’analyse des rêves selon Freud est une transposition suivie d’une association. La transposition se produit constamment dans les films, de même que l’allongement ou l’abréviation de l’action. »

Une telle structure du rêve est ce que nous avons exploré avec nos installations ayant trait à la rêverie chez Rousseau. Ainsi, dans le CD-Rom Moments de Jean-Jacques Rousseau (2), les séquences n’ont pas à proprement parler de début et de fin. Elles ont des entrées sans doute, mais se perpétuent ensuite dans des boucles sans fin, oscillantes ou circulaires, qui s’inversent, bifurquent, se déversent dans d’autres boucles, selon les actions conjointes de la mise en scène et de la lecture.

Un autre facteur de variabilité est relatif à la relation caméra-projecteur. Aux premiers temps du cinéma, la position du spectateur et sa relation à l’écran étaient déterminantes quand à la manière de concevoir, en amont, la prise de vues. A la fixité du projecteur et à la continuité du défilement de la pellicule devaient correspondre une fixité et une continuité de la caméra. Quand la caméra s’émancipe du projecteur, débute le procès de différenciation qui fonde le cinéma en tant qu’écriture et en tant qu’art. Deleuze le signale dès l’ouverture de L’Image-Mouvement. Les grandes installations vidéo de Nam June Paik, qui multiplient les moniteurs, démultiplient les images, les incluent dans des sculptures, des robots, des totems, exaltent ainsi la variabilité de l'écran, et contestent radicalement la fixité et l'unicité de l'écran.[...]

À la fin de l'entretien au journal Libération, déjà cité, Nam June Paik ajoute qu’il « attend du spectateur qu’il utilise sa liberté grâce à la fonction random access in time. Au cinéma, vous attendez l'heure de la projection, le générique défile et hop! vous voilà prisonnier du réalisateur. Et vous vous sentez bien, puisque tout esclave se sent en sécurité. [...] Mes sculptures vidéo, vous pouvez les regarder deux heures ou deux secondes, elles vous donneront satisfaction, enfin j'espère. »

À une question sur le zapping, il répond : « Je faisais cela bien avant que le mot même de zapping existe. Cela s'appelle de l'interactivité et c'est une chose importante dans tous les domaines : la liberté individuelle, l'amour, le sexe, la vie humaine en général. »

Notes :

1. 3e Biennale d'art contemporain de Lyon, Cinéma, vidéo, informatique, CD-Rom, sous la direction de Jean-Louis Boissier, Réunion des musées nationaux, Paris, 1995.
2. Jean-Louis Boissier, Moments de Jean-Jacques Rousseau, CD-Rom, Gallimard, Paris, 2000.