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Michaux, Henri



Henri Michaux, Par des traits, 1984

De l’abondante production graphique et picturale de Henri Michaux, dont on sait qu’elle accompagne son écriture poétique et littéraire, on retient ici deux ouvrages qui apparaissent tard dans son existence : Saisir et Par des traits.
Ils ont en commun de rassembler pages de textes, poèmes et essais, et pages de dessins, groupes de signes graphiques faits de traits tremblés à l’encre noire. Dans Saisir, on peut voir des bêtes, des insectes. Par des traits, ce sont des signes plus abstraits (1).

En référence à l’écriture chinoise, qu’il aborde dans Idéogrammes en Chine (2), mais en s’en écartant pour inventer son propre vocabulaire graphique, Henri Michaux forme dans Saisir le projet utopique d’un langage universel, dont il serait l’auteur, et qui serait fait non pas de mots à prononcer, mais de signes.

"Qui n’a voulu saisir plus, saisir mieux, saisir autrement, et les êtres et les choses, pas avec des mots, ni avec des phonèmes, ni des onomatopées, mais avec des signes graphiques ?
Qui n’a voulu un jour faire un abécédaire, un bestiaire, et même tout un vocabulaire, d’où le verbal serait exclu ?" (Saisir).

Les dessins-signes et les mots coexistent de façon contrastée. Mais les deux ouvrages présentent aussi bien des poèmes que des textes plus théoriques, qui relèvent de l’essai. Raymond Bellour (3) souligne que cette double approche fait "écho à l’utopie, bien plus insaisissable, d’une communauté entre l’ordre des mots et celui des images."

Différents en cela des idéogrammes dont il dit qu’ils ont le "rendu statique" nécessaire à une écriture, ses signes graphiques sont l’expression du mouvement, le mouvement-même : "Les gestes, les attitudes, le mouvement, les actions, c’est cela qui m’entraînait, et qui m’incitait présentement à les reproduire. […] Ce que je voulais n’était pas le mouvement tel qu’on le voit en photographie, mais le mouvement initial, essentiel, à la base, tel qu’on le ressentirait les yeux bandés." (Saisir).

Une clé de cette pulsion d’écriture hors des langues littéralement lisibles, une écriture de signes concrets destinés à dire autre chose, dans un autre registre, nous la trouvons dans cette affirmation : "Moi aussi, un jour, tard, adulte, il me vient une envie de dessiner, de participer au monde par des lignes." (4)

Il s’agit donc de saisir le monde, de participer à sa traduction : "Saisir : traduire. Et tout est traduction à tout niveau, en toute direction. » (Saisir) [image 01].

Michaux le démontre : par des traits, par des lignes, s’ouvre la voie d’une participation au monde.

Michaux n’oppose pas un langage de mots à un langage de formes. Il intitule "lecture" les deux textes qu’il consacre aux gravures de Zao Wou-ki. Il ne s’agit pas de découvrir un dessin en en déchiffrant le "texte". Il s’agit plutôt de prendre le rapport à l’image comme modèle critique de la lecture du texte. Dans une perspective poétique, le texte doit être aussi énigmatique que le dessin. La lecture doit y gagner une "libre circulation". (5)

Ainsi, voir c’est lire. Il y a chez lui comme la nostalgie d’un monde qui serait lisible et donc véritablement visible, où l’écriture elle-même participerait du fonctionnement du monde. De nouveau, c’est ce qu’il reconnaît dans l’écriture chinoise :
« Il y eut pourtant une époque, où les signes étaient encore parlants, ou presque, allusifs déjà, montrant plutôt que choses, corps ou matières, montrant des groupes, des ensembles, exposant des situations.[…] Les paysans il est vrai les regardaient sans les comprendre, mais non sans ressentir que c’était bien de chez eux, ces lestes signes […] des paysages de branches fleuries et de feuilles de bambous qu’ils avaient vus en images et appréciaient". (6)

Les lignes actives et signifiantes de Michaux devaient rencontrer celles de Klee. Inspiré par les textes pédagogiques de Klee que nous évoquons par ailleurs, Henri Michaux rédige, pour un ouvrage consacré à Paul Klee, une préface en forme d’éloge de la ligne. C’est "Aventures de lignes" (1954), dont on transcrit ici quelques passages (7) :
"Une ligne rencontre une ligne. Une ligne évite une ligne. Aventures de lignes"
"Une ligne pour le plaisir d’être ligne, d’aller, ligne."
"Une ligne rêve. On n’avait jusque-là jamais laissé rêver une ligne. »
"Une ligne de conscience s’est reformée."

"Pour entrer dans ses tableaux et d’emblée, rien de ceci, heureusement, n’importe. Il suffit d’être l’élu, d’avoir gardé soi-même la conscience de vivre dans un monde d’énigmes, auquel c’est en énigmes aussi qu’il convient le mieux de répondre."

1. Henri Michaux, Saisir, Fata Morgana, 1979.
Henri Michaux, Par des traits, Fata Morgana, 1984.
2. Henri Michaux, Idéogrammes en Chine, Fata Morgana, 1975.
3. Raymond Bellour, Notice pour Par des traits, Henri Michaux, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, t. III, pp. 1788-1792.
4. Henri Michaux, Émergences-Résurgences, Genève, Skira, 1972.
5. Voir Gérard Dessons, "Lire la peinture", Littérature, "Henri Michaux", Paris, N° 115, 1999, pp. 48-54.
6. Idéogrammes en Chine, op. cit.
7. Henri Michaux, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, t. II, Pléiade, pp. 360-363.


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