Jean-Louis Boissier

 

Textes extraits de "Programmes interactifs", catalogue de l'exposition au CREDAC, Ivry-sur-Seine, 1995.

1, 2, 3, 4


Déplacer
le curseur de haut en bas sur les images.

 

1.
"La bobine"
extrait de
"Globus oculi",
1992
0 Le propos premier est celui des divers registres de la désignation, qu'elle soit le fait de l'indice - ou de l'index -, du doigt qui montre ou du regard qui fixe, ou encore des mots. Les thèmes sous-jacents sont ceux de l'apprentissage, de la découverte du monde, de la relation mère-enfant, de l'enfance d'un art. Cette métaphore se construit par le croisement d'images et de sons saisis sur le réel, de textes, d'un logiciel et d'une interface minimalistes. Le désir de voir est ici simulé et nécessairement déçu. Mais cette déception devrait se compenser par le plaisir du geste d'accès répété aux images et de déclenchement de leurs bifurcations internes, par l'acte de possession des images comme fétiches; ou peut-être encore par la constitution du geste lui-même en image, comme dans le Fort-Da freudien.

Dans "La bobine", le Fort-Da est illustré, de façon volontairement naïve, par le jeu d'un diptyque vertical. Les images du haut voient la main du bébé se saisir de la ficelle et la tirer hors du champ. Les images du bas voient apparaître et disparaître la bobine. Le lecteur n'a qu'à passer d'une image à l'autre pour relancer la scène. Le raccord entre ces images, comme dans tous les tableaux de "Globus oculi", est à la fois vrai et faux. S'il se réalise ici, c'est par la ficelle qui se tend. Les animations se font avec un minimum d'images. Cependant, la scène se renouvelle continuellement, car le programme tire, littéralement, au hasard, les suites constitutives de photogrammes. Chaque état, initial ou final, est ponctué, dans une traduction française libre, par les mêmes cris: "L'est là !"; "L'est parti !". Le geste compulsif, la scansion en va-et-vient, se trouvent en quelque sorte vérifiés par leur transfert dans les comportements que j'ai observés: la plupart des lecteurs appellent cinq, dix, vingt fois cette navette, jusqu'à s'imprégner de sa ritournelle.

Je reprends ce modèle psychanalytique, ce jeu si souvent cité comme "tentative de maîtrise symbolique de l'absence et de son objet ", parce qu'il est "quelque chose dont, finalement, [on] va faire une image". Il pourrait fort bien constituer un paradigme du dispositif interactif. "L'enfant accoste des Univers de possible inédits, aux retombées virtuelles incalculables." Je me range à cette interprétation qu'en donne Félix Guattari. Il critique à la fois Freud qui "rend ce jeu tributaire d'une pulsion de mort" et Lacan qui en fait, dans le langage, une "structure [qui] précède et enveloppe la machine dans une opération qui la dépouille de tous ses caractères autopoïétiques et créatifs".