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Entretien 03 avec Romain



Q. : Présente-toi ?
R. : Romain C., 22 ans, je suis étudiant en master cinéma à Censier. Je fais de la musique dans un groupe. Je suis aussi animateur dans l'école de mon ancien quartier entre Porte de Bagnolet et Porte des Lilas. Je fais du graffiti, encore un peu. Il y a deux trois ans, c'était une grande partie de ma vie, j'ai réalisé des pochoirs, des tee-shirts et quelques toiles.

Q. : Tu peux nous les montrer...
R. = [Il montre un grand objet ] Ça c'est un pochoir taillé dans du bois. Je suis en train de le réaliser en métal.

Q. : Tu as dit que le graffiti était une grande partie de ta vie.
Quelles sont les techniques que tu emploies la plupart du temps et quelles sont les raisons pour lesquelles tu les emploies ?
R. : J'ai commencé par peindre directement sur le mur, donc tracé direct, puis après je suis passé au pochoir, comme ce pochoir Statuette bambara, que j'ai montré, inspiré de l'art bambara du Mali. J'ai repris les formes de la statuette que j'ai rendues plus saillantes. On dirait plus une arme maintenant, une espèce de couteau. L'art bambara est tout en rondeurs normalement et là je l'ai peu tailladé. Le pochoir permet de multiplier le dessin, par un procédé proche de celui de la sérigraphie et je l'ai beaucoup utilisé comme une empreinte de type tribal, comme une marque de reconnaissance. J'ai fait quelques toiles, où j'utilisais le pochoir pour superposer les dessins et trouver d'autres formes en variant les tonalités de couleur et obtenir quelque chose qui n'a plus rien à voir avec la forme de départ. J'aime bien partir d'une forme bien définie et développer autour.

Q. : Sur quels supports utilisais-tu ces pochoirs ?
R. : C'est pour utiliser dans la rue. Je le plaque sur un mur de la main gauche, avec la main droite, je peins [je poche] avec une bombe de peinture. C'est pour faire de l'art de rue, au départ. Je l'ai utilisé par la suite pour faire des teeshirts, imprimé sur tout le dos du teeshirt, comme une bête géante qui épouse la forme du corps. Ce n'est pas juste un logo, c'est l'idée d'une empreinte, comme un tatouage géant.

Q. : "Le trait comme ligne de conduite", qu'est-ce-que ça t'inspire ?
R. : Au départ, c'était plus le tracé sur le mur, j'ai développé pas mal le tag. Dans l'équipe [Ego 6], on était plus orienté vers le tag, un geste éphémère. Les gens disent, c'est fait rapidement, c'est de la "merde". Mais nous, on a toujours aimé ça pour le côté éphémère, pour la spontanéité du geste. "Le trait comme ligne de conduite", je dirais que c'est quelque chose de spontané qui reste vivant et éphémère, puisqu'un tag est effacé rapidement. Je pourrais comparer le tag à une étoile filante.

Q. : Et alors, d'après toi, quelle est la différence entre le trait et la ligne ?
R. : .... Entre le trait et la ligne... la ligne, pour moi, ça peut être la ligne d'horizon, ça peut être quelque chose qui peut ne pas être forcément tracée par l'homme. Un trait, c'est quelque chose qui ne peut être fait que par un tracé humain. Le trait peut être fait par l'homme. Une ligne, c'est autre chose, ça peut être un objectif, un idéal que tu te fixes. Une ligne d'horizon, c'est quelque chose qui ne bouge pas, mais je crois qu'il n'y a pas véritablement de ligne de conduite.

Q. : Quelles sont les relations entre le texte et l'image ?
R. : Précise la question...

Q. : Qu'est-ce qui distingue le texte de l'image ?
R. : En soi pas grand-chose. Les deux veulent signifier quelque chose, mais de manière différente, mais une image peut signifier autant que quelque chose qui est écrit ...

Q. : Qu'est-ce qui lie le texte à l'image ?
R. : Le sens, je pense.... Un texte a un sens, il te donne le sens. Dans l'image, le sens peut être caché. Mais dans les deux, il y a un sens. Je pense à la publicité, l'image signifie autant que le texte, plus que le texte. Mais si tu prends un livre, c'est plus compliqué, il y a des sens sous-jacents au texte.

Q. : Y-a-t'il une différence irréductible entre le texte et l'image ?
R. : Je pense que l'image peut plus s'approcher de l'inconscient, [s'adresser à l'inconscient] signifier des choses dont on ne s'aperçoit même pas, alors que le texte peut toujours être analysé, alors que l'image quelquefois peut te signifier quelque chose sans même que tu t'en aperçoives et ça le texte ne peut pas l'atteindre.

Q. : Paul Klee a dit : Kein Tag ohne Linie : pas un jour sans ligne. Qu'en penses-tu ?
R. : [Il renifle...] Tu peux prendre la ligne sous diverses significations. Il n'y a pas un jour sans ligne d'horizon, c'est la chose la plus terre à terre. Pas un jour sans ligne de conduite. Ce n'est pas vraiment un but... Il n'y a pas un jour sans une ligne que tu vas te donner, mais c'est une direction, mais ce n'est pas un objectif. Une ligne, c'est un ensemble de choses qui font que tu restes dans cette ligne. C'est dur à définir, mais tu sais quand tu es dans cette ligne de conduite ou quand tu en débordes... Une ligne de conduite, c'est un ensemble global d'éléments qui font que tu te trouves dans cette ligne et tu sais quand tu sors de cette ligne-là... un juste milieu...

Q. : Quelles sont tes références artistiques au sens large ?
R. : En musique, c'est très large, toute forme de musique, du moment qu'il y a quelque chose qui m'accroche, de vivant, de spontané, de rageur... Je peux le trouver autant dans Beethoven, Mozart... que dans des choses plus brutes comme le Hip-Hop. Il faut quelque chose de lancé, qui "dégage". La Grime [des noms ...], ça ça m'inspire ... la Booty, spontanée, lâchée, faite rapidement, qu'on sente la vie, le côté éphémère de la vie.

Q. : Quelles sont tes références plus picturales, tes influences ?
R. : La sérigraphie de Warhol est pour moi une référence, la façon dont il détourne les objets de la vie courante pour en faire des œuvres d'art qu'il multiplie comme des objets de consommation. D'un côté, on a l'impression que ce n'est pas spontané parce que c'est multiplié, mais en même temps, chaque sérigraphie de Warhol est unique, parce qu'à chaque fois le cadre s'encrasse, ce n'est jamais le même chose. On ne peut pas dire que c'est la même chose, comme un logo fait sur ordinateur que tu peux multiplier cent fois. C'est comme si Warhol agressait un peu la machine, s'il enrayait son fonctionnement. Basquiat, bien sûr ....

Q. : Parle-nous de Basquiat ...
R. : C'est le côté jeté, le mode de vie qui correspond à sa peinture, c'est lâché sur tout support, sur un frigidaire, une planche, dans la rue sous son nom de graffeur SAMO, avec des petites phrases qui "accrochent" bien. Jackson Pollock aussi avec le dripping : c'est le trait à l'état pur, il n'y a plus de contact avec la peinture, il est en apesanteur, il balance la peinture.

Q. : Les institutions font la distinction entre l'art appliqué et l'art de galerie, qu'est-ce qui différencie, selon toi, ces deux milieux?
R. : On peut dire qu'il y a un avant et un après Warhol. Il y a eu Duchamp avant, c'est le fusible. Après Duchamp, ce n'est plua la même chose. Il a mis un urinoir dans une exposition et il a dit c'est de l'art. À partir de là, tout peut devenir art. Une fois qu'il a dit ça, qu'il a fait ça surtout, mettre un "chiot" dans une exposition en l'appelant Fountain. C'est ce qui est fort. Chaque élément de la vie quotidienne peut devenir une œuvre d'art dans un certain contexte. Donc les graphistes et artistes tendent à ne plus se différencier. Les graphistes de Björk, M/M, sont considérés comme des artistes à part entière. Ils font les campagnes de pub pour Calvin Klein, des pochettes d'album. C'est de l'art qui tend à devenir objet de consommation. Même le graffiti est une forme de publicité, tu mets ton nom partout jusqu'à ce que les gens saisissent... c'est du matraquage.