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Klee, Paul

01 02
01. Paul Klee, Dieser Stern lehrt beugen, 1940
02. Paul Klee, Dieser Kopf versteht die Gleichung nicht, 1939

Le cours de Paul Klee (1879-1940) pour le Bauhaus, un cahier de notes et de dessins dont on dispose d’une édition en fac-similé, s’ouvre sur la proposition d’un "linéaire actif" [Linear aktiv] (1), déclinée en "ligne libre" [freie Linie], "ligne d’accompagnement" [begleitende Linie], "lignes annexes avec ligne principale imaginaire" [Nebenlinien, die Hauptlinie imaginär]. Il décrit ensuite une « nouvelle ligne [qui] par contre a un délai à respecter, elle veut aller si possible rapidement vers 1 puis vers 2 vers 3, etc. On parlera ici plutôt d’un déplacement pour affaires que d’une promenade. […] Mais aussi bien la ligne libre que cette ligne déterminée sont de type purement actif."

Il est intéressant de remarquer que, dès ces premières pages, dans ce qu’il présente comme un premier geste d’apprentissage du dessin, Paul Klee met en place une approche dynamique où le dessin prend une sorte d’autonomie vivante. Il ne parle pas d’un vocabulaire graphique avec lequel on pourrait assembler un dessin mais plutôt d’un comportement, d’un rythme, de possibilités de variations, d’inflexions, de la ligne elle-même, même si cette ligne est le produit d’un geste humain. D’ailleurs, son cours N° 1 commence exactement ainsi : "Peu après avoir posé le crayon ou quelque autre pointe, se forme une ligne (plus librement elle se promène d’abord, plus évidente sera sa nature mobile)."

On peut s’interroger sur le choix de Paul Klee du terme linear. Généralement traduit par "ligne", linear, littéralement "linéaire", est préféré à trait. Dans ce qui précède, on voit pourtant que cette ligne est bien un tracé. Outre le fait qu’en allemand le mot pour trait, Strich (comme dans "trait de plume") se traduit aussi par ligne, on peut retenir que, pour Paul Klee, le trait fait immédiatement ligne. Ainsi, son précepte "Nulla dies sine linea", "Kein Tag ohne Linie", "Pas un jour sans ligne", établit une corrélation entre le tracé, le dessin quotidien, et une ligne qui se prolonge de jour en jour, non pas dans une forme continue, mais bien, comme on le cherche avec le présent travail, dans une attitude qui touche à l’existence et à l’autobiographie, à la conduite.

Il est significatif que l’exposition inaugurale du Centre Paul Klee de Berne (été 2005) s’intitule précisément "Kein Tag ohne Linie (Nulla dies sine linea)"(2). Cette exposition rappelle que "les dernières années de création de Paul Klee sont marquées par un accroissement prodigieux de sa production, tout particulièrement dans le domaine du dessin. Le 2 janvier 1940, Paul Klee écrit à Will Grohmann, historien de l’art et ami : "L’année a été très productive. Je n’ai jamais autant dessiné et de manière aussi intense. 1 200 réalisations pour l’année 1939, voilà tout de même un chiffre record". "Nulla dies sine linea" (pas un jour sans un trait/dessin) – Cette phrase tirée de l’ouvrage Historia Naturalis de Pline, Paul Klee l’avait notée en 1938 dans son catalogue d’œuvres au numéro d’œuvre 365, un dessin intitulé Süchtig (Accro). Son œuvre s’achève l’année de sa mort en 1940 – il est mort le 29 juin – avec le numéro 366. Hasard ou fait exprès? 1940 était en effet une année bissextile. "Nulla dies sine linea" n’est pas seulement une caractéristique majeure de la biographie de Paul Klee, c’est aussi un principe qu’il applique durant ses dernières années de vie à sa production artistique, pensée comme un journal intime."

L’exposition de Berne présente la partie de son œuvre la moins connue, principalement des dessins calligraphiés au crayon et à l’encre ainsi que des collages polychromes réalisés dans les dernières années. L’expressivité et la méditation qui ressortent de cet ensemble marquent la force de l’expérience de Paul Klee et sa vision du monde. Parmi ces dessins, des visages, des masques (Maske, 1938) comme tracés du doigt sur la buée d’un miroir, dans une surface de couleur liquide brun-rouge presque sale, des sortes d’autoportraits. Ou bien, très linéaire au contraire et au crayon, (Dieser Kopf versteht die Gleichung nicht, 1939 — Cette tête ne comprend pas la ressemblance), une sorte de rébus de signes qui invite à lire un visage sans même le reconstituer.

Si l’on se reporte aux usages de la phrase "Nulla dies sine linea" (3), attribuée par Pline l’Ancien au peintre de la Grèce antique Apelle qui ne passait pas une journée sans peindre on constate qu’elle est reprise surtout par des écrivains. Ainsi Jean-Paul Sartre : "J’écris toujours. Que faire d’autre ? Nulla dies sine linea. C’est mon habitude et puis c’est mon métier." (Les Mots, roman autobiographique de Sartre, 1964). Plus encore, sur Internet on trouve aujourd’hui plusieurs sites de blogs intitulés ainsi, ce qui confirme la rencontre entre dessin et écriture et, une fois encore, l’orientation autobiographique de cette pratique de la ligne quotidienne. Il ne s’agit pas seulement de persévérance dans le travail, ni d’un acte répétitif et compulsif. Il s’agit d’identifier la production artistique avec sa propre existence.

1. Paul Klee, Beiträge zur bildnerischen Formlehere, Bâle, Stuttgart, Schwabe & Co. AG,1979, pp. 8-14.
Version française : Cours du Bauhaus, Weimar 1921-1922, Contributions à la théorie de la forme picturale, Musées de Strasbourg/Hazan, 2004.
2. Catalogue Paul Klee, Kein Tag ohne Linie, Hatje Cantz, 2005.
3. Étienne Wolff, Les Mots latins du français, Paris, Belin, 1993, p. 193..



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